samedi 22 février 2014

→ « BON VOYAGE, DONC, A CEUX QUI PARTENT ET BON SEJOUR QUAND MÊME A CEUX QUI RESTENT ! », Goldoni, La Trilogie de la Villégiature

Chers lecteurs, amis, promeneurs égarés, je reviens sur ces pages pour vous faire part d’une décision que j’ai prise. A partir de ce jour, Sur les planches cesse son activité. J’ignore si ce sera temporaire ou définitif, l’avenir nous le dira.

Après quatre ans de bons et loyaux services, depuis Annwvyn’s factory jusqu’à Sur les planches, j’ai voulu vous faire partager ma passion, mes découvertes cinématographiques, télévisuelles, et théâtrales. J’espère avoir réussi à vous communiquer mon enthousiasme, et je suis ravie d’avoir pu échanger avec vous. Je remercie tous ceux qui un jour sont passés par ici pour me lire, ou me laisser un commentaire. 

Arrive un moment où je ne parviens plus à tout faire. Entre mes cours, mon travail, mes sorties au théâtre, mes cours de théâtre, je ne tiens plus, physiquement et nerveusement. J’ai adoré vous faire partager mes plus belles découvertes, et j’aurais encore beaucoup d’articles à écrire. Mais mon blog, ainsi que mon diable de perfectionnisme (trouver le mot juste, tout connaître, être lue, écrire l’article le plus sincère possible…) ont achevé de me prendre beaucoup de temps, et de m’épuiser.
J’ai donc choisi de mettre Sur les planches entre parenthèses. J’aimerais en profiter pour apprécier avec plus de tranquillité toutes les pièces que j’irai voir. Cela ne m’empêchera pas de suivre ceux d’entre vous qui ont des blogs, et de venir prendre de leurs nouvelles de temps à autre. Mais je compte aussi laisser twitter de côté, bien trop chronophage. Je vous laisse également mon adresse e-mail annwvynsurlesplances@gmail.com, si certains souhaitaient me contacter.

Pour tout dire, je pense aussi aller un petit moins au théâtre. J’aime le théâtre (évidemment !). Quand j’assiste à une pièce, j’ai l’impression de toucher l’essentiel. On dit que le théâtre n’est pas la "vraie vie". Je suis persuadée du contraire. C’est dans le théâtre, et dans l’art en général, qu’on en est le plus proche. C’est là qu’on touche l’humanité de plus près.

Seulement, j’aime aussi beaucoup d’autres choses. Je veux reprendre la lecture, et le dessin notamment. Et puis il y a ce projet qui me tient à cœur, l’écriture d’un roman que j’ai à l’esprit depuis bien longtemps. J’ai besoin de détachement, de temps, de repos, de sérénité, pour retrouver le plaisir d’écrire, et me sentir libre d’écrire ce dont j’ai envie. Je veux aujourd’hui retrouver tout le plaisir tranquille que je ressentais quand j’étais plus jeune. Je veux pouvoir me détendre, me ressourcer, laisser mon esprit vagabonder, s’enrichir, librement.

A tous, je vous dis donc au revoir ! Nul doute qu’on se croisera par-ci, par-là sur la toile. Je vous souhaite à tous et bien sincèrement une bonne continuation, et beaucoup beaucoup de joie au théâtre !

samedi 8 février 2014

→ LE SONGE D'UNE NUIT D'ÉTÉ - COMÉDIE FRANÇAISE

Voilà deux jours que je suis allée voir la répétition générale du Songe d’une nuit d’été, mis en scène par Muriel Mayette à la Comédie française. Les circonstances étaient exceptionnelles, et j’ai éprouvé un plaisir intense à assister à ce spectacle en avant-première. Mais je réalise aujourd’hui avec effarement que je n’ai en réalité rien à dire sur la pièce que j’ai vue, et qu’elle ne me laissera presque aucun souvenir…

J’avais déjà eu la chance immense d’assister à une répétition générale il y a quelques années. C’était pour Un Fil à la patte, et je m’étais retrouvée dans la salle Richelieu presque vide, avec pour unique compagnie le metteur en scène Jérôme Deschamps. Les comédiens étaient encore tendus à l’époque… bien inconscients du succès que la pièce aurait par la suite. Nous avons ri les premiers, applaudi les premiers, et, croyez-moi, c’est un souvenir magique que je garderai encore longtemps !
Jeudi l’ambiance était un peu différente. Entrée par les couloirs de l’administration, armée de photographes au beau milieu de l’orchestre, public un petit peu plus nombreux (essentiellement des scolaires… les veinards !), et introduction de la pièce par Muriel Mayette en personne, assez fébrile, ses cheveux roux en bataille, le ton mi-évaporé, mi-agacé, mais heureuse tout de même de nous trouver là. L’administratrice de la Comédie française nous a demandé d’être un public "normal", de nous comporter comme si de rien n’était, et de laisser les comédiens travailler et évoluer au milieu de nous…

Dès que la pièce a commencé, ses mots ont pris du sens. Et c’est certainement ici le seul élément de mise en scène que j’ai trouvé, à défaut d’être original, du moins véritablement sympathique et intéressant. Si les dernières répétitions ont été ouvertes au public, c’est qu’en réalité, le metteur en scène et les comédiens avaient besoin de lui.

Assise au deuxième rang, j’ai eu la surprise de voir arriver Michel Vuillermoz et Julie Sicard. Ainsi que des spectateurs qui seraient en retard, ceux-ci ont dérangé ma rangée, bavardant avec chacun d’entre nous, le temps de gagner leurs places tout à côté de moi. Autant dire que je n’avais jamais vu les deux comédiens d’aussi près… j’étais presque dans les bras de Michel Vuillermoz (qui a d’ailleurs embrassé ma voisine !).

Leur manège s’est reproduit à plusieurs reprises, et rien qu’à l’idée d’avoir échangé quelques mots avec eux (des mots anodins « Je vais bien merci. Je vous souhaite une bonne soirée. Tout à fait d’accord avec vous », une amie qui m’accompagnait m’a dit que j’étais devenue très rouge), j’ai envie de hurler de joie (rendez vous compte, j’ai presque fait de l’improvisation avec Michel Vuillermoz ! Voilà qui est fou !).

Il y a dans le Songe d’une nuit d’été des scènes de théâtre dans le théâtre. Thésée, Hippolyta, et tous les jeunes gens, passent d’un instant à l’autre du côté des acteurs à celui des spectateurs. Et puis il y a aussi cette oscillation, cette frontière entre rêve et réalité, sur laquelle Muriel Mayette a souhaité insister. Thésée fait partie de notre réalité, comme nous il n’appartient pas à ce monde féerique, imaginaire, onirique. Avoir les comédiens à côté de nous, c’était renverser brusquement la perspective. Ça se prêtait parfaitement à la pièce, créait une forte complicité entre les comédiens et le public, en plus d’être hautement plaisant et intelligent.
C’est ici que s’arrête mon enthousiasme. La pièce tombe ensuite dans une routine sans originalité et sans caractère, dont j’ai déjà du mal à me souvenir.

J’écris rarement des critiques négatives. Je ne suis pas une professionnelle, et je garde à l’esprit qu’il est assez impudent de juger le travail des autres sans en connaître toute la teneur. Mais surtout, je n’ai jamais vraiment détesté un spectacle. Le plus généralement, si je n’aime pas une pièce, c’est qu’elle m’aura laissée indifférente. Et puisque je cherche avant tout à transmettre mon ressenti, il m’est quasiment impossible d’écrire dans ces cas-là. Comment mettre des mots sur l’indifférence ?

Mise en scène par Muriel Mayette, je n’ai vu qu’Andromaque. La scène épurée, de grandes colonnes, les costumes vaporeux mais sobres des comédiens, il s’agissait de mettre l’accent sur le texte, « le cœur brûlant et les lèvres glacées » disait Cécile Brune. Pour le Songe d’une nuit d’été, l’administratrice récidive, reconnaissant aimer les mises en scène dépouillées, pour mettre le texte et le jeu des comédiens à l’honneur. Nous voici donc repartis pour une scène presque sans décor, si ce n’est cette toile plastique blanche, vaguement éclairée, qui recouvre le fond et le sol, et ces longues colonnes blanches, souples cette fois-ci.

Cela se comprenait pour Andromaque, d’autant que les comédiens (Léonie Simaga en tête, moins Cécile Brune) brûlaient intérieurement et vivaient littéralement le texte de Racine. Pour le Songe, c’est différent. Le Songe est une pièce éclectique, atypique, riche de ses personnages, envoûtante, surprenante. Le metteur en scène peut en faire ce qu’il veut, construire un univers, parler de ce qui lui fait plaisir, raconter comme il l’entend… En choisissant encore de tout laisser reposer sur les épaules des comédiens, je ne peux m’empêcher de penser que Muriel Mayette a choisi là une magnifique solution de facilité.

Si encore j’avais ressenti quelque chose ! Mais Muriel Mayette, alors qu’elle souhaitait vraiment dissocier la réalité du songe, ne parvient pas à traduire sur scène l’onirisme, la féérie du monde des rêves. Sa mise en scène souffre très nettement de la comparaison avec le Psyché de Véronique Vella. Là où Véronique Vella avait construit, presque de bric et de broc, un espace immensément évocateur, le Songe ne nous fait absolument pas voyager.
La musique, les costumes, sont censés nous faire entrevoir un espace troublant, faisant profondément appel à notre inconscient… Je suis restée de marbre. Les costumes sont inspirés de Jérôme Bosch, et se veulent rappeler la sexualité animale. Mais ils n’apportent rien de plus qu’un peu de bouffonnerie. Comment ne pas penser à l’Après-midi d’un faune, que j’ai vu l’année dernière à l’opéra Garnier, dans la chorégraphie de Nijinski et les costumes de Léon Bakst ? Là, il y avait une sexualité, une animalité diablement plus troublantes. Les comédiens du français ne sont pas des danseurs, et si on devine le travail qui a été fait sur les corps, aucune sensualité ne transparaît, tout ceci reste vaguement gentillet.

Coïncidence étonnante d’ailleurs. L’Après-midi d’un faune était également représenté l’année dernière dans la chorégraphie de Robbins… sur un fond clair, vaguement lumineux et dans des tenues légères… soit presque exactement le décor du Songe d’une nuit d’été et les costumes de nos deux couples, Lysandre et Hermia, Demetrius et Helena ! Mais là encore, la danse était beaucoup plus évocatrice, plus puissante.

Que dire de plus ? Au milieu de cet espace blanc, sans caractère, se trouvent les comédiens. A quelques exceptions près, je les ai trouvés assez transparents. Les deux couples sont vêtus légèrement, soie ou satin rappelant des nuisettes (évidemment puisqu’ils voyagent dans le monde des rêves… !) et ils vont de-ci de-là, Suliane Brahim et Adeline d’Hermy grimaçantes, et Sébastien Pouderoux (décidément, lui, je ne l’aime pas) et Laurent Lafitte (après le Système Ribadier, où déjà je ne l’avais pas trouvé à la hauteur) parfaitement insignifiants.

On voit bien peu Julie Sicard et Michel Vuillermoz. Martine Chevallier n’apporte pas la moindre flamboyance à Titania. Christian Hecq (Obéron) et Louis Arène (Puck), parviennent à trouver le ton juste, entre l’exagération, l’humour, et l’intelligence. Mais c’est vraiment la troupe des comédiens, menée par Stéphane Varupenne et Jérémy Lopez (excellent Bottom) qui survole l’ensemble. Pierre Hancisse et Benjamin Lavernhe, accompagnés des élèves comédiens, complètent la troupe. Ils font preuve d’une autodérision épatante, et parviennent à donner par instants le rythme et l’humour qui manque à la pièce.
Soyons clairs. Je n’ai rien de particulier contre Muriel Mayette. J’ai suivi les derniers événements de loin, mais cela n’a en rien influencé mon jugement. Seulement, après avoir vu ce Songe d’une nuit d’été, je me suis souvenu que certains reprochaient à l’administratrice son manque d’ambition artistique… Eh bien je dois dire, qu’entre ces costumes de nuit, ces allées-et-venues sautillantes, ces tentatives de danses sensuelles, ces grimaces convenues, cette scène absolument vide, je crains que ce ne soit exactement ça : un manque d’ambition.

Je garde aussi à l'esprit qu'il s'agissait d'une répétition générale. Peut-être ce lien qui doit se tisser entre les comédiens et le public prendra-t-il seulement corps ce soir, lors de la première ? J'ai prévu d'aller revoir la pièce, ce qui me permettra d'ailleurs d'applaudir les comédiens qui ne sont pas venus nous saluer jeudi.

vendredi 24 janvier 2014

→ PLATONOV - MISE EN SCENE DE BENJAMIN POREE

Il est temps de repartir pour une nouvelle année, riche en théâtre ! 2014 avait plutôt mal commencé, puisque mes examens m'ont fait manquer une représentation dès le début du mois. Mais sans aucun doute, cette semaine aura rattrapé le coup. Chance inespérée, une très aimable twitteuse m'a donné ses places pour la pièce que je mourrais d'envie de voir : Platonov au théâtre de l'Odéon (plus exactement aux Ateliers Berthier). Autant le dire tout de suite, j’ai adoré Platonov, et je vous recommande chaudement la pièce !

Platonov est un peu ma pièce. C'est la première pièce dramatique que j'ai jouée. C'est aussi ma rencontre avec un rôle, celui d'Anna Petrovna, avec un personnage (Platonov, si bien incarné par celui qui est devenu un ami), et avec un auteur (Tchekhov… peut-être mon auteur préféré à ce jour). A la même période, je découvrais la Comédie française et la plénitude qu'on peut ressentir devant un bon spectacle.

Je ne présenterai que brièvement la pièce, à laquelle j'ai déjà consacré un billet.  Platonov, ou Ce Fou de Platonov, est la première pièce d'Anton Tchekhov. Il semble qu'elle ne soit en réalité qu'une suite de brouillons, ce qui explique qu'il en existe des adaptations différentes. Dans mon volume (traduction de Pol Quentin aux éditions Folio Classique), aucune trace de toute la première heure du texte mis en scène à l'Odéon ! J'ai lu que jouer le texte en totalité prendrait huit heures, excusez du peu. A l'Odéon, ce ne sont que 4 heures 30 de plaisir qui vous attendent.

Platonov est une évocation du déclin de l'aristocratie russe de la fin du XIXème siècle, de ces nobles désargentés, sans occupation, incapables de travailler. A l'image d'Hamlet, Platonov ne sait pas vivre. Intellectuel brillant et lucide, respecté par tous, il a en horreur la vie dénuée de sens qu'il mène, sans être capable d'en changer. Anton Tchekhov n'avait que 18 ans lorsqu'il a écrit Platonov, et je suis toujours frappée et émue de voir qu'aussi jeune, il était déjà cruellement désabusé.
J'avais beaucoup d'attentes en allant mardi soir aux Ateliers Berthier… et j'ai été conquise. La mise en scène de Benjamin Porée est enthousiasmante, pour la première partie en tout cas (j'ai été moins séduite par la seconde).

J'étais particulièrement sceptique à l'idée de voir jouer Tchekhov dans un cadre moderne. Tchekhov fait partie de ces auteurs qu'il est risqué de détacher de leur époque sans les dénaturer, comme a pu le faire (c'est mon avis !) Arthur Nauzyciel avec La Mouette. Non que les propos de Tchekhov n'aient pas de résonnance aujourd'hui (au contraire !), mais il y a dans le XIXème siècle russe une certaine douceur, une grâce, qu'on ne recrée que difficilement dans un décor moderne.

A ma grande surprise, il m'est apparu qu'un environnement contemporain, brumeux, métallique, dénudé, venteux, seyait parfaitement à Platonov. Les Ateliers Berthier, auparavant des entrepôts abritant les décors de l'opéra Garnier et bâtis par Charles Garnier en personne, sont aujourd'hui le théâtre plus « expérimental » de l'Odéon. Je suis tombée sous le charme puissant de cette structure brute, de cet espace scénique recouvert de sable, au bas des gradins, encadré de poutres métalliques.

Et il m'est apparu que Platonov y avait toute sa place. Les tons gris, mats, la terre battue, la fumée qui déroule ses volutes sur la scène, tout est une illustration parfaite, élégante, juste, de l’existence de Platonov. Rien d’évident pourtant. Cette mise en scène là a du caractère, et m’a fait penser au Macbeth de Laurent Pelly. Le jeune Benjamin Porée est un metteur en scène à suivre !

Dès la première seconde, l’atmosphère aspire le spectateur, qui se retrouve tout à coup à partager la vie de ces hommes et de ces femmes, à s’asseoir avec eux, à les aimer, à ressentir leur égarement. Tout Tchekhov était là, les grandes envolées philosophiques, les mots simples qui nous vont droit au cœur, une grande humanité, une volonté de s’étourdir pour ne pas penser à la vie, des scènes en apparence si triviales et qui signifient beaucoup. Le cœur battant, absorbant tout, l’ambiance, les mots de l’auteur, sa douleur, j’étais éblouie.
J’ai lu que Benjamin Porée avait pensé au cinéma dans sa mise en scène. Il est vrai que chaque scène est soigneusement cadrée, éclairée, accompagnée de musique (chants d’opéra en italien, Ossip qui s’attaque à Platonov… c’est parfaitement choisi !). J’ai tout aimé dans cette première partie : la fête avec toute la foule (ces groupes qui dansent, chantent… un tel dynamisme projeté vers le spectateur !), et puis la scène des balançoires (quiétude mélancolique, inquiétante presque… une vraie merveille !). Je veux aussi saluer les comédiens pour le rythme insufflé, qu’il n’est pas si aisé d’apporter.

A la fin de la première partie, je sentais naître en moi cette euphorie assez rare, caractéristique des pièces qui me transportent et me bouleversent. Malheureusement, la seconde partie (qui correspond au troisième acte de ma traduction) ne m'a pas paru du tout à la hauteur (mais tout est relatif bien-sûr, surtout que j’étais bien fatiguée en fin de soirée !).

La fin m'a déçue, et m'a paru presque bâclée, clichée même. Des scènes ont été coupées, rendant la fin abrupte, comme s'il fallait en finir au plus vite. Ce qui m'a gênée, c'est le traitement des personnages. C'est certainement un choix du metteur en scène, et il n'y a pas de vérité. Mais j'ai regretté ce parti pris d'un cynisme absolu, qui fait entièrement disparaître la grâce que je trouve caractéristique de Tchekhov, et son humanité… et qui nous empêche (c'est très dommage !) d'être vraiment touchés.

La fin, telle que je me la rappelle, est émouvante et digne, et Platonov a beau s'enivrer, se montrer odieux, s'empêtrer irrémédiablement dans ses réflexions, il reste un héros noble, un homme respectable, attachant parce qu'il est humain, et dont l'effondrement suscite notre compassion.

Dans la mise en scène de Benjamin Porée, Platonov passe une vingtaine de minutes complètement nu. J'en comprends l'intérêt, mais cela a suscité les rires de la salle, déconnectée de la souffrance et de la solitude du personnage. Faire perdre autant de dignité à Platonov me semble être une erreur. Sans compter que l'astuce est vue et revue, et dépourvue de la finesse que le metteur en scène déploie dans la première partie. De même, la mort de Platonov est expédiée sans émotion, et ses derniers mots que j'attendais (« Attendez… Attendez… Pourquoi ? ») ont été coupés. Le personnage perd sa complexité, son relief, il n'est plus qu'une coquille vide... par laquelle on se sent bien peu concerné. Alors qu'on pourrait être tellement ému !
Le suicide de Sacha devrait être poignant aussi, entre les larmes de son père, et sa phrase délicate « La clé du buffet de bois est dans ma robe de laine. » Elle n'est qu'un événement expédié, une petite plaisanterie de Triletzki. Même chose encore du côté d'Anna Petrovna, donc la ruine finale doit ébranler à nos yeux et pour la première fois ce personnage en apparence si fort. Son désespoir à elle passe complètement à la trappe, et c’est bien dommage. La jeune veuve est si amère, si désabusée, qu’elle en plaisanterait presque.

En ce qui concerne Anna Petrovna d’ailleurs, j’ai une remarque à faire, qui porte sur la pièce dans son ensemble. J’ai été surprise de découvrir dans la mise en scène de Benjamin Porée une dynamique différente de celle que je connaissais. A mes yeux, la pièce et l’équilibre du héros lui-même reposent sur la relation de respect mutuel qui existe entre ces deux êtres lucides, Anna Petrovna et Platonov. La mise en scène au contraire m’a paru faire la part belle à Sofia, avant que Platonov ne finisse complètement seul, sans autre regard pour l’éclairer.

Je me permets donc de défendre Anna Petrovna ! Si la veuve a une fâcheuse tendance à vouloir « se brûler la cervelle », si elle poursuit sans relâche Platonov, elle n’est pas seulement une femme en mal de sensations fortes. Elle est aussi une femme qui inspire le respect à tous, qui fait face lorsqu’elle se trouve ruinée (contrairement à son fils) et qui en impose par sa classe. J’ai été surprise de l’interprétation d’Elsa Granat, pas aussi nuancée que je l’aurais voulu (mais c’est peut-être aussi dû à la traduction d’André Markowicz et de Françoise Morvan, nettement plus familière que celle de Pol Quentin… alors que j’avais adoré leur travail dans Les Trois sœurs).

Il me reste à dire un mot sur les comédiens. Je ne sais pas si je les ai tous aimés, mais je confirme que voir une troupe aussi nombreuse, aussi jeune et aussi dynamique est un réel plaisir ! Joseph Fourez est un excellent Platonov, je le reconnais… mais puisque j’ai connu avant lui un autre Platonov, qui reste pour moi le vrai Platonov, difficile de l’aimer sans réserve ! Du côté des femmes, je n’ai pas été aussi convaincue. J’ai adoré Zoé Fauconnet (Grekova) mais beaucoup moins Macha Dussart (Sacha) qui rendait un peu ridicule son personnage admirable. Et puis petit bémol. Dommage qu’il n’y ait pas plus de diversité dans cette jeune troupe, tous grands, minces, biens bâtis, beaux…
Me voici donc au bout de mon assez long billet ! Même si effectivement deux-trois choses m’ont fait tiquer, beaucoup tiennent à ma vision de la pièce, et ça a finalement peu d’importance. Clairement, si vous en avez la possibilité, n'hésitez pas et courez aux Ateliers Berthier. Il y avait quelque chose de fabuleux à partager quatre heures durant la vie de tous ces personnages, une communion entre eux et le public… et c’était franchement magique.

dimanche 15 décembre 2013

→ LE JOURNAL D'ANNE FRANK - MISE EN SCENE DE STEVE SUISSA

Mon emploi du temps est si chargé que, si je continue à me rendre au théâtre à un bon rythme, je ne trouve plus le temps de vous faire partager mon avis. Je tombe d’épuisement. Mais le théâtre ne doit plus attendre ! Alors avant qu’il ne soit trop tard, voici mon avis sur le Journal d’Anne Frank, que j’ai vu mercredi.
Cela fait si longtemps que je n’ai pas lu le Journal d’Anne Frank. Je me suis rappelée mercredi combien ce livre, combien Anne Frank, avaient marqué mon enfance. La pièce m’a semblé fidèle à mes souvenirs, fidèle au regard d’Anne sur le monde qui l’entoure, un regard gai, vivant, impulsif, jeune, et critique. Un regard absolument humain et touchant.

Le parti pris du metteur en scène Steve Suissa est celui de la simplicité, du réalisme, du respect du Journal d’Anne Frank et de son esprit. Dans l’ensemble, cela m’a paru plutôt réussi (alors qu’il est a priori difficile de mettre en scène l’histoire d’Anne Frank, sans en faire quelque chose de mélodramatique, d’insoutenable ou d’exagéré). Ce sont certains des moments les plus importants de la vie d’Anne Frank qui se jouent devant nos yeux, tout simplement.

Dans la première scène, Otto Frank est seul dans une gare, portant ce panneau : « Edith Margot Anne ». Un peu plus tard, ce-dernier, assis en avant-scène dans son bureau, découvre le journal de sa fille et décide, non sans hésitation, de l’ouvrir et de le lire. Et à nouveau, sa fille, Anne, vit. La scène s’éclaire alors, et derrière une toile tendue qui finira par se lever, apparaissent les Frank et les Van Pels, confinés dans le petit appartement d’Amsterdam où ils sont cachés.

On retrouve dans la pièce, en plus du ton enjoué d’Anne Frank, cette naïveté caractéristique du style d’Eric-Emmanuel Schmitt, qui s’est chargé d’adapter le Journal pour la pièce. Aussi surprenant que cela puisse paraître (même si restent toujours à l’esprit le drame qui suivra et le destin de la famille Frank), le ton de la pièce est léger. Les tranches de vie auxquelles on assiste nous sont soufflées, avec délicatesse, un peu comme différents tableaux qu’on regarderait avec une émotion tranquille.
Un peu trop tranquille en fait. Le principal reproche que je ferais à cette mise en scène est sa trop grande naïveté. La famille de Anne reste effacée, et peine à être vraiment là, vibrante. Il me semble qu’il manque à la pièce une petite étincelle, un déclic, un je-ne-sais-quoi d’énergie ou de rythme. Du punch en somme ! L’ensemble est sage… et puis c’est déjà la fin.

Certainement, cet effacement léger est surtout dû au jeu des comédiens… qui luttent (à la nette exception de Charlotte Kady) pour exister aux côtés de Francis Huster. C’est surtout pour lui que je voulais découvrir ce spectacle. J’avais déjà eu l’occasion de le voir, puisque j’avais assisté à la trilogie de Marcel Pagnol, où il interprétait (sans l’accent marseillais !) le rôle de Panisse.

Francis Huster a une présence et une prestance indéniables (quelle voix !). Mais dans le rôle d’Otto Frank, il semblait presque en porte-à-faux. J’ai trouvé son jeu trop théâtral (il paraissait parfois peu touché par la mort de ses filles et de son épouse…), en tout cas trop écrasant par rapport aux autres comédiens. Son charisme théâtral d’un côté, et de l’autre le jeu sympathique des autres comédiens, leurs scènes plus légères… la pièce m’a paru déséquilibrée.

Juste un petit mot sur Roxane Duràn, qui interprète Anne Frank. Certains spectateurs lui ont reproché de ne pas parler assez fort, et c’est vrai que sa voix est plutôt fluette. Je reconnais aussi qu’elle aurait pu apporter plus de piquant à Anne. Mais j’ai été pleinement conquise par cette jeune comédienne, au physique atypique, expressive, lumineuse, impertinente, et gaie.
Du côté de la scénographie, l’environnement d’Anne Frank est très bien reconstitué. Les meubles, son carnet à carreaux rouges et blancs, les costumes, les couleurs, tout concourt à nous plonger dans les années 40. J’ai aimé aussi les projections plus modernes, sur la toile tendue, qui donnent à l’ensemble une belle esthétique.

La seule chose que je reprocherais à la mise en scène, c’est cette alternance un peu rapide des scènes où Otto est seul et celles des flash-back. Bien que chaque scène soit introduite par des morceaux musicaux variés, parfaitement appropriés, on a le sentiment que la pièce est hachée. La pauvre Alice Carel qui interprète Miep débite son texte trop vite, et Francis Huster n’a même pas le temps de s’exprimer que déjà, ce n’est plus son tour.

Je sais que j’ai beaucoup critiqué la pièce. Mais je vous encourage à aller la voir. Si la pièce souffre quelques faiblesses, elle a au moins su trouver le ton juste. Le Journal d’Anne Frank a le mérite d’être un spectacle sensible, intelligent, qui rappelle pourquoi le journal a marqué des générations entières. Il rappelle son humanité absolue.