Voilà deux jours que je suis
allée voir la répétition générale du Songe
d’une nuit d’été, mis en scène par Muriel Mayette à la Comédie française.
Les circonstances étaient exceptionnelles, et j’ai éprouvé un plaisir intense à assister à ce spectacle
en avant-première. Mais je réalise aujourd’hui avec effarement que je n’ai
en réalité rien à dire sur la pièce que j’ai vue, et qu’elle ne me laissera
presque aucun souvenir…
J’avais
déjà eu la chance immense d’assister à une répétition générale il y a
quelques années. C’était pour
Un Fil à la patte, et je m’étais retrouvée dans la salle Richelieu presque
vide, avec pour unique compagnie le metteur en scène Jérôme Deschamps. Les
comédiens étaient encore tendus à l’époque… bien inconscients du succès que la
pièce aurait par la suite. Nous avons ri les premiers, applaudi les premiers,
et, croyez-moi, c’est un souvenir magique que je garderai encore
longtemps !
Jeudi l’ambiance était un peu
différente. Entrée par les couloirs de l’administration, armée de photographes
au beau milieu de l’orchestre, public un petit peu plus nombreux
(essentiellement des scolaires… les veinards !), et introduction de la pièce par Muriel Mayette en personne, assez fébrile,
ses cheveux roux en bataille, le ton mi-évaporé, mi-agacé, mais heureuse tout
de même de nous trouver là. L’administratrice de la Comédie française nous a
demandé d’être un public "normal", de nous comporter comme si
de rien n’était, et de laisser les comédiens travailler et évoluer au milieu de
nous…
Dès que la pièce a commencé, ses
mots ont pris du sens. Et c’est certainement ici le seul élément de mise en
scène que j’ai trouvé, à défaut d’être original, du moins véritablement sympathique
et intéressant. Si les dernières
répétitions ont été ouvertes au public, c’est qu’en réalité, le metteur en
scène et les comédiens avaient besoin
de lui.
Assise au deuxième rang, j’ai eu
la surprise de voir arriver Michel Vuillermoz et Julie Sicard. Ainsi que des
spectateurs qui seraient en retard, ceux-ci ont dérangé ma rangée, bavardant
avec chacun d’entre nous, le temps de gagner leurs places tout à côté de moi. Autant
dire que je n’avais jamais vu les deux comédiens d’aussi près… j’étais presque dans les bras de Michel Vuillermoz
(qui a d’ailleurs embrassé ma voisine !).
Leur manège s’est reproduit à
plusieurs reprises, et rien qu’à l’idée d’avoir échangé quelques mots avec eux (des
mots anodins « Je vais bien merci.
Je vous souhaite une bonne soirée. Tout à fait d’accord avec vous »,
une amie qui m’accompagnait m’a dit que j’étais devenue très rouge), j’ai envie de hurler de joie (rendez vous
compte, j’ai presque fait de l’improvisation avec Michel Vuillermoz !
Voilà qui est fou !).
Il y a dans le Songe d’une nuit d’été des scènes de
théâtre dans le théâtre. Thésée, Hippolyta, et tous les jeunes gens, passent d’un
instant à l’autre du côté des acteurs à celui des spectateurs. Et puis il y a aussi
cette oscillation, cette frontière entre
rêve et réalité, sur laquelle Muriel Mayette a souhaité insister. Thésée
fait partie de notre réalité, comme nous il n’appartient pas à ce monde
féerique, imaginaire, onirique. Avoir
les comédiens à côté de nous, c’était renverser brusquement la perspective.
Ça se prêtait parfaitement à la pièce, créait une forte complicité entre les
comédiens et le public, en plus d’être hautement plaisant et intelligent.
C’est ici que s’arrête mon
enthousiasme. La pièce tombe ensuite
dans une routine sans originalité et sans caractère, dont j’ai déjà du mal à me
souvenir.
J’écris rarement des critiques
négatives. Je ne suis pas une professionnelle, et je garde à l’esprit qu’il est
assez impudent de juger le travail des autres sans en connaître toute la teneur.
Mais surtout, je n’ai jamais vraiment détesté un spectacle. Le plus généralement, si je n’aime pas une
pièce, c’est qu’elle m’aura laissée indifférente. Et puisque je cherche
avant tout à transmettre mon ressenti, il m’est quasiment impossible d’écrire dans
ces cas-là. Comment mettre des mots sur
l’indifférence ?
Mise en scène par Muriel Mayette,
je n’ai vu qu’Andromaque. La scène
épurée, de grandes colonnes, les costumes vaporeux mais sobres des comédiens,
il s’agissait de mettre l’accent sur le texte, « le cœur brûlant et les lèvres glacées » disait Cécile
Brune. Pour le Songe d’une nuit d’été,
l’administratrice récidive,
reconnaissant aimer les mises en scène dépouillées, pour mettre le texte et le
jeu des comédiens à l’honneur. Nous voici donc repartis pour une scène
presque sans décor, si ce n’est cette toile plastique blanche, vaguement éclairée, qui recouvre le fond et le sol, et ces longues colonnes blanches, souples cette
fois-ci.
Cela se comprenait pour Andromaque, d’autant que les comédiens
(Léonie Simaga en tête, moins Cécile Brune) brûlaient intérieurement et vivaient
littéralement le texte de Racine. Pour le Songe,
c’est différent. Le Songe est une pièce éclectique,
atypique, riche de ses personnages, envoûtante, surprenante. Le metteur en
scène peut en faire ce qu’il veut, construire un univers, parler de ce qui lui
fait plaisir, raconter comme il l’entend… En choisissant encore de tout laisser reposer sur les épaules des comédiens, je ne
peux m’empêcher de penser que Muriel Mayette
a choisi là une magnifique solution de facilité.
Si encore j’avais ressenti
quelque chose ! Mais
Muriel Mayette,
alors qu’elle souhaitait vraiment dissocier la réalité du songe,
ne parvient pas à traduire sur scène l’onirisme,
la féérie du monde des rêves. Sa mise en scène souffre très nettement de la
comparaison avec le
Psyché de
Véronique Vella. Là où Véronique Vella avait construit, presque de bric et de
broc, un espace immensément évocateur, le
Songe ne nous fait absolument pas voyager.
La musique, les costumes, sont censés nous faire entrevoir un espace troublant,
faisant profondément appel à notre inconscient… Je suis restée de marbre. Les costumes sont inspirés de Jérôme
Bosch, et se veulent rappeler la sexualité animale. Mais ils n’apportent rien
de plus qu’un peu de bouffonnerie. Comment ne pas penser à l’Après-midi d’un faune, que j’ai vu l’année
dernière à l’opéra Garnier, dans la chorégraphie de Nijinski et les costumes de
Léon Bakst ? Là, il y avait une sexualité, une animalité diablement plus
troublantes. Les comédiens du français ne sont pas des danseurs, et si on
devine le travail qui a été fait sur les corps, aucune sensualité ne transparaît, tout ceci reste vaguement gentillet.
Coïncidence étonnante d’ailleurs. L’Après-midi d’un faune était également représenté l’année dernière
dans la chorégraphie de Robbins… sur un fond clair, vaguement lumineux et dans des
tenues légères… soit presque exactement le décor du Songe d’une nuit d’été et les costumes de nos deux couples,
Lysandre et Hermia, Demetrius et Helena ! Mais là encore, la danse était
beaucoup plus évocatrice, plus puissante.
Que dire de plus ? Au milieu de cet espace blanc, sans
caractère, se trouvent les comédiens. A quelques exceptions près, je les ai
trouvés assez transparents. Les deux couples sont vêtus légèrement, soie ou
satin rappelant des nuisettes (évidemment puisqu’ils voyagent dans le monde des
rêves… !) et ils vont de-ci de-là, Suliane Brahim et Adeline d’Hermy
grimaçantes, et Sébastien Pouderoux (décidément, lui, je ne l’aime pas) et Laurent
Lafitte (après le Système Ribadier,
où déjà je ne l’avais pas trouvé à la hauteur) parfaitement insignifiants.
On voit bien peu Julie Sicard et
Michel Vuillermoz. Martine Chevallier n’apporte pas la moindre flamboyance à
Titania. Christian Hecq (Obéron) et Louis Arène (Puck), parviennent à trouver
le ton juste, entre l’exagération, l’humour, et l’intelligence. Mais c’est vraiment la troupe des comédiens, menée
par Stéphane Varupenne et Jérémy Lopez (excellent Bottom) qui survole l’ensemble.
Pierre Hancisse et Benjamin Lavernhe, accompagnés des élèves comédiens,
complètent la troupe. Ils font preuve d’une autodérision épatante, et
parviennent à donner par instants le rythme et l’humour qui manque à la pièce.
Soyons clairs. Je n’ai rien de
particulier contre Muriel Mayette. J’ai suivi les derniers événements de loin,
mais cela n’a en rien influencé mon jugement. Seulement, après avoir vu ce Songe d’une nuit d’été, je me suis souvenu
que certains reprochaient à l’administratrice son manque d’ambition artistique… Eh bien
je dois dire, qu’entre ces costumes de nuit, ces allées-et-venues sautillantes,
ces tentatives de danses sensuelles, ces grimaces convenues, cette scène absolument vide, je crains que ce ne soit exactement ça :
un manque d’ambition.
Je garde aussi à l'esprit qu'il s'agissait d'une répétition générale. Peut-être ce lien qui doit se tisser entre les comédiens et le public prendra-t-il seulement corps ce soir, lors de la première ? J'ai prévu d'aller revoir la pièce, ce qui me permettra d'ailleurs d'applaudir les comédiens qui ne sont pas venus nous saluer jeudi.