« Salut, Macbeth ! Salut à toi,
thane de Glamis !
- Salut, Macbeth ! Salut à toi, thane de Cawdor !
- Salut, Macbeth, qui plus tard sera roi ! »
Me
voici de retour pour une nouvelle saison théâtrale ! Nous verrons si
j’arrive à tenir mes bonnes résolutions, et à écrire sur chacune des pièces que
j’irai voir. Mais aujourd’hui, pas de question à se poser ! Attaquons nous
à Macbeth, masterpiece de l’immense
dramaturge et poète anglais, William Shakespeare.
Quand j’avais vu que Macbeth,
interprété par Thierry Hancisse et mis en scène par Laurent Pelly, faisait
partie de la programmation du TNT de Toulouse la saison dernière, j’avais
enragé de ne pas habiter Toulouse et désespéré de jamais pouvoir voir ce
Macbeth-là. Alors quand j’ai appris, il y a à peine quelques semaines et
presque par hasard, que la pièce venait se jouer à Nanterre au théâtre des
Amandiers, j’ai été transportée !
Evidemment, j’allais au théâtre avec
tellement d’attentes que je reviens tout de même un peu déçue. Mais si peu en
vérité, que je ne peux que vous conseiller de vous ruer à Nanterre, pour
assister à ce spectacle épique, impressionnant et, si on peut dire,
puissant !
Je connais assez peu Shakespeare. Je connais de nombreuses de ses
pièces, que ce soit au travers d’adaptations cinéma, du texte lui-même, des
opéras qui en sont tirés, des quelques représentations auxquelles j’ai pu
assister… Mais je n’arrive pas à connaître Shakespeare. Je trouve les pièces
comme Hamlet (que j’ai lue très récemment - et au passage, je ne vois
absolument pas Denis Podalydès dans le rôle éponyme) ou Macbeth (découverte en
détail seulement jeudi dernier aux Amandiers) extrêmement complexes.
Il me
semble que l’écriture de Shakespeare est épineuse, ardue, tortueuse, presque
impénétrable. J’imagine que les tragédies de Shakespeare sont un peu comme les
opéras, il faut les apprivoiser par petits morceaux, les ressentir par moments,
travailler à les apprécier et à les comprendre. Il n’y a chez Shakespeare qu’un
seul tout, terriblement complexe. L’humour, le grotesque, le tragique se
mélangent constamment. Ses personnages peuvent passer de grivoiseries hardies
aux questionnements les plus élevés.
La légende veut que Macbeth soit une pièce
maudite. Il y a dans Macbeth une dimension en plus, un je-ne-sais quoi d’inquiétant,
d’inéluctable, quelque chose d’invisible et d’effrayant. Les comédiens
désignent Macbeth par la périphrase "la pièce écossaise", parce que
prononcer son nom sur scène porte malheur. Cet été encore, le très
shakespearien Kenneth Branagh aurait blessé un de ses partenaires en pleine
représentation. Et la fille d’Alex Kingston faisait des cauchemars les soirs où
sa maman répétait son rôle de Lady Macbeth.
A Nanterre-Amandiers, c’est la mise
en scène de Laurent Pelly qu’il faut aller voir. Elle est une lecture moderne
de la pièce, percutante en diable, qui envoûte, fascine et aspire le spectateur
dès la première seconde. Laurent Pelly donne toute sa place à cette ombre
féroce qui engloutit la pièce de Shakespeare.
D’une esthétique implacable, la
scène presque toujours plongée dans l’obscurité, parcourue de temps à autre par
un rayon de lumière crue, la scénographie touche au sublime. J’ai pu lire sur
internet une comparaison avec les toiles du peintre américain Hopper, et je
confirme qu’elle est plus que pertinente. Une lumière agressive, la solitude
impitoyable des protagonistes, les nombreux clairs obscurs, une esthétique dépouillée,
violente, pointue.
Jeudi soir, j’ai vu quelque chose de complètement nouveau. Laurent
Pelly fait du théâtre un art complet, du grand spectacle en somme. Peut-être n’est-ce
pas étranger au fait qu’il a beaucoup travaillé pour l’art lyrique ?
Le
brouillard qui noie parfois la scène transforme chaque instant en une image
percutante, indélébile, magnifique. Cette impression est accentuée par la
fermeture du rideau entre chaque scène ou presque, qui fait de chaque instant
un tableau à lui seul. La musique, forte, d’une grande puissance évocatrice,
beaucoup de basses fortes et de grondements lointains, est très présente elle
aussi, entre les scènes mais également, ce qui est très surprenant au théâtre,
en fond sonore. Il semble parfois qu’on n’est plus au théâtre, mais au cinéma.
Certains
passages sont véritablement extraordinaires. Il y a par exemple l’apparition
des trois sorcières, grotesques et fascinantes, tout droit sorties du gothique
anglais (sans parler d'Hécate, charismatique et décalée avec son balai-brosse). Il y a également l’assassinat du roi Duncan, Macbeth agenouillé devant
le robinet, les mains pleines de sang, et Lady Macbeth qui lui prend les
poignards des mains, qui ne comprend pas pourquoi dans son égarement il ne les
a pas laissés près du corps.
La scène de folie somnambule de Lady Macbeth est
splendide aussi, avec ce rai de lumière blafarde qui sort de la maison. On
pourrait citer chaque instant, les murs de béton modulables qui bougent entre
chaque scène, créant de nouvelles perspectives, le trône de Macbeth qui devient
de plus en plus grand et qui envahit l'espace, les scènes de combat où on ne devine plus que la
silhouette des comédiens…
Ce que j’ai apprécié plus que tout (c’est un peu ce
que j’avais adoré aussi dans Le Chapeau de paille d’Italie de Corsetti à la
Comédie française la saison dernière), c’est que le metteur en scène nous livre
sa lecture de Macbeth. C’est sa lecture, une lecture parmi d’autres, une véritable relecture, et
pourtant la pièce de Shakespeare n’est pas le moins du monde dénaturée. Au
contraire, elle apparaît au spectateur dans toute sa pureté, sans artifice. En
voyant cette mise en scène là, je me suis dit, que oui, Macbeth, c’était ça.
« La vie n’est qu’un fantôme errant, un pauvre comédien
qui se pavane et s’agite durant son heure sur la scène et qu’ensuite on n’entend
plus ; c’est une histoire dite par un idiot, pleine de fracas et de furie,
et qui ne signifie rien… »
A tout ceci, il y a quand même un bémol. La mise en scène est peut-être
parfois trop envahissante. A certains moments, je me suis demandé si ce n’était
pas un petit peu too much, au point d’être de l’esbroufe voire d’édulcorer ou
de simplifier le texte. Le rideau qui s'ouvre et se referme sans cesse finit par casser le rythme. Mais surtout, surtout, la mise en scène ne laisse pas
suffisamment de place aux comédiens, et en tout cas, certains d’entre eux ont
du mal à trouver la leur.
Ce n’est pas le cas de Thierry Hancisse (Macbeth), de
Marie-Sophie Ferdane (Lady Macbeth), de Pierre Aussedat (Duncan, Hécate, deux rôles aux antipodes !) et de
Rémi Gibier (très juste en Macduff). Mais j’ai trouvé le reste
de la distribution un peu pâlichon.
Je ne connaissais pas Emmanuel Daumas, et
peut-être est-il d’ordinaire un comédien talentueux. Mais dans le rôle de
Malcolm, et je suis réellement désolée de ne pouvoir dire autre chose, je l’ai
trouvé assez mauvais. Le comédien a réellement atomisé la scène de l’acte
IV, où il doit se positionner comme le leader de la rébellion contre l’oppression
de Macbeth. Certes, Laurent Pelly le dit : « Et si Malcolm, contaminé par le pouvoir, n’était qu’un Macbeth
en gestation ? », et je conçois qu’il ne soit pas le héros sans
peur et sans reproche. Mais là, cela sonnait si faux, que
je n’ai pu m’empêcher de lui souhaiter d’échouer dans sa rébellion (enfin presque !).
Mais comment s’en sortir lorsqu’on a en face
de soi des partenaires au jeu si nuancé ? Evidemment, comme d’habitude, je
ne suis pas objective devant Thierry Hancisse, comédien que j’admire entre tous.
Jeudi soir, je crois qu’il n’était pas tout à fait en forme, et sa diction d’ordinaire
si parfaite a un peu souffert. J’ai aussi déploré au départ qu’il ne soit pas
plus digne, plus raide, plus sûr de lui, lorsqu’il est encore chef des armées,
puis quand il monte sur le trône pour la première fois. J’aurais voulu
ne pas retrouver ce dont il parle comme de « son animalité », sa
souplesse.
Et puis j’ai changé d’avis. Y-avait-il en réalité une meilleure
façon de traduire la profondeur de Macbeth qu’en l’interprétant si loin de
toute caricature ? Dès le début, on sent la fragilité de Macbeth, dont le
rire est déjà surprenant, presque inquiétant. Macbeth entrevoit la possibilité
de devenir roi, s’en fait un plaisir, mais n’ose y penser, pressent la
possibilité d’un meurtre, mais n’ose regarder cette idée en face. Il oscille
constamment entre pensées coupables, remords, avidité, faiblesse, déception,
désarroi, cruauté, passion, égarement, et tend de plus en plus vers la folie.
« Ô temps, tu
préviens mes exploits redoutés. L’intention fugace n’est jamais atteinte, à
moins que l’action ne l’accompagne. A l’avenir, le premier mouvement de mon cœur
sera le premier mouvement de ma main. Aujourd’hui même, pour couronner ma
pensée par un acte, que la résolution prise soit exécutée. »
Chacune de ses répliques est un ensemble du tout, et c’est ce que Thierry
Hancisse rend avec un incroyable talent. Il fait de Macbeth un personnage éminemment
humain. Comme le dit Laurent Pelly : « Macbeth n’est pas seulement le
nouveau roi d’Ecosse. Il est en chacun de nous. »
Marie-Sophie Ferdane (qui quitte d’ailleurs la Comédie française cette année, je pense que je la
regretterai) est aussi tout à fait juste dans le rôle de Lady Macbeth. Quel
personnage féminin impressionnant (surtout quand on songe à la date à laquelle
Macbeth a été écrite !). C’est elle qui pousse son mari, « qui joue à
la fois pour lui un rôle de mère et, assumant violence, ambition et jouissance
du pouvoir le rappelle à l’ordre viril. Une sorte de surmoi qui serait le désir
de Macbeth par procuration… ». Et pourtant, elle est incapable de tuer elle-même
Duncan, qui ressemble à son père lorsqu’il dort. Elle aussi, et on pourrait
être surpris, est humaine…
Je n’ai toujours pas compris de quoi
parle vraiment la pièce. Il y est question d’un meurtre bien-sûr, de la
culpabilité et de la folie qu’il entraine, de la soif du pouvoir, de cette
obsession pour le destin. Il y a aussi ces paroles de son épouse qui obsèdent
Macbeth : il ne faut pas réfléchir, car la réflexion empêche l’action.
Impossible ici de ne pas faire le parallèle avec Hamlet qui lui est incapable d’agir.
Mais on sent bien que dans Macbeth il y a une foule d’autres choses, qui touchent
à la profondeur de l’âme humaine, aux noires pensées que nous avons tous en
nous… et Shakespeare en parle de manière tellement fascinante…
« J’ai
presque perdu le goût de l’inquiétude. Il fut un temps où mes sens se seraient
glacés au moindre cri nocturne, où mes cheveux à un récit lugubre, se seraient
dressés et agités comme s’ils étaient vivants. Je me suis gorgé d’horreurs. L’épouvante
familière à mes meurtrières pensées, ne peut plus me faire tressaillir. »
Vous ne devez en
aucun cas hésiter. La pièce se joue au théâtre des Amandiers de Nanterre
jusqu’au 13 octobre, et jeudi soir, la salle était seulement pleine aux
deux-tiers, ce qui est révoltant, lorsqu’on assiste à un tel spectacle.