Promis, je ferai preuve d’un peu
plus de volonté à la rentrée prochaine. Je vous ai déjà privés d’un article sur
Oblomov. Ecrire sur un tel roman m’a semblé assez ardu, et comme d’habitude,
j’ai manqué de temps. Le plus affreux c’est que déjà les impressions que j’ai
ressenties ce soir-là au théâtre du Vieux Colombier se sont estompées.
Avant qu’il n’en soit de même
pour Rituel pour une métamorphose, voici ma critique de cette pièce, à laquelle
j’ai assisté il y a presque deux semaines.
A la Comédie française, il y a eu
cette saison de merveilleuses surprises (en tête la finesse, l’originalité et l’audace
du Chapeau de Paille d’Italie), mais aussi de mauvaises (Phèdre bien-sûr !).
Malheureusement, Rituel pour une métamorphose aurait plutôt tendance à entrer
dans la seconde catégorie.
Rituel pour une métamorphose est
la première pièce en langue arabe qui entre au répertoire de la Comédie française.
Elle a d’abord été créée il y a quelques mois à Marseille, cette année capitale
européenne de la culture, avant d’être jouée salle Richelieu.
Rituel pour une métamorphose a
été écrite en 1994 par l’auteur syrien Saadallah Wannous. L’intrigue se déroule
autour de 1860, mais je crois que la pièce est surtout un regard de l’auteur
sur ses contemporains. J’ignore si l’auteur était visionnaire, ou si la pièce
était déjà aussi percutante à l’époque. Toujours est-il que dans la situation
politique et religieuse actuelle au Moyen-Orient, il est criant que le message
délivré par la pièce est d’actualité.
Au cœur de la pièce, le destin d’une
femme, Mou-mina. Mou-mina est l’épouse, discrète, sagement enfermée à la maison
comme il convient, d’Abdallah, prévôt des notables de Damas. A la suite d’un
piège tendu à Abdallah par le redoutable mufti, garant de l’ordre et de la
religion dans la ville, Mou-mina exige que son mari la répudie. Elle veut être
libre, seule maîtresse d’elle-même et de son corps.
Progressivement, cette femme de
la noblesse devenue courtisane enflamme Damas. La ville n’est plus enfermée
dans ses carcans, tout le monde ne parle que de liberté, de désir et de
volupté. Dans cette explosion des conventions, l’autorité religieuse du mufti
se radicalise : en désespoir de cause, et lui-même fou de désir pour
Mou-mina, le mufti finit par prononcer la fatwa.
Rituel pour une métamorphose
parle de la religion, du droit des femmes, de l’autoritarisme politique, de l’obscurantisme
religieux, de cette obsession religieuse pour le pêché et le vice, et de la
liberté. Elle fait partie de ces pièces qui délivrent, mais surtout doivent impérativement aujourd’hui délivrer
un message fort.
C’est ce que la mise en scène de
Sulayman Al-Bassam ne parvient pas à faire. Le metteur en scène écrit : « La période dont il est question dans
la pièce correspond à l’apogée d’une vision fantasmée d’un Orient imaginaire. S’il
était important de garder les éléments provenant du conte, il fallait, dans le
même temps, opter pour une forme de distanciation, afin de service la pièce
dans ce qu’elle a de puissant, d’urgent, de contemporain, et d’universel dans
le temps réel ».
Je comprends l’objectif du
metteur en scène. Mais c’est aussi précisément ce parti pris que je lui reproche.
En voulant gommer tout orientalisme, et en voulant insister sur l’universalité
du message de la pièce, il a oublié le plus important (et finalement ce qu’il y
a réellement de plus universel !) : l’humanité des personnages.
Plus que des personnages de
conte, les personnages deviennent abstraits, figés, presque des archétypes, et
tout ce qu’il y a d’humain en eux finit par s’effacer. Le message, le texte,
est bien là, mais il ne subsiste plus la moindre humanité, empêchant le
spectateur de ressentir la moindre émotion.
La pièce parle de volupté, de
désir, je l’ai trouvée horriblement froide. Je n’ai pas cru un seul instant que
Julie Sicard, raide, froide, frêle, puisse enflammer Damas. On devrait
ressentir ce désir qu’elle inspire à tous, le vent de liberté qu’elle fait
souffler, l’explosion brutale mais nécessaire des conventions. Et ressentir la
violence de la scène finale où Mou-mina est brisée. Mais à ce stade-là,
Mou-mina est déjà une légende, immuable, au-dessus des hommes. Et quelle
froideur, quel manque d’expression, d’humanité, de sentiments, d’émotion !
Rien, absolument rien, ne fait
deviner l’évolution des personnages, l’impact que Mou-mina est censée avoir sur
eux. Le rythme reste lent, la lumière tamisée et terne, les mouvements raides,
mécaniques, les comédiens ailleurs. Je n’ai cru à presque aucun personnage. Presque
tous les comédiens jouent deux rôles… je les ai tous mélangés. Sylvia Bergé tente
maladroitement des pas de danse orientale, avec raideur, sans entrain. Et Denis
Podalydès, égal à lui-même (penser qu’il va jouer Hamlet… aie !) ne m’a
pas plus séduite.
Je reconnais que le décor était
beau. C’est la direction des acteurs que je critique. Ce sont des acteurs que j’apprécie,
que j’admire énormément, et j’ai horreur d’avoir l’impression qu’ils jouent
mal. Peut-être le problème vient-il également du texte (ou de sa traduction) ? J’ai trouvé le texte maladroit, parfois mal écrit, et il m’a semblé que les
comédiens se débattaient pour que les mots ne sonnent pas faux. Enfin c’est
vrai : « On n’est pas à La Mecque, mec ! »…
voilà.
Ma critique ne serait pas tout à
fait sincère si je ne mentionnais pas à part (quelle surprise !) Thierry
Hancisse. C’est lui qui s’en tire le mieux, et de loin. Thierry Hancisse
interprète le rôle du mufti avec une belle profondeur, et on ressent son
évolution. Du mufti calme et autoritaire, à l’homme fou de désir puis d’amour,
révolté qu’une courtisane puisse l’atteindre et le soumettre à ce point, il a
une interprétation parfaitement juste, presque émouvante. Mais voilà, un seul
comédien ne suffit pas, et à lui seul il ne peut sauver la représentation.
Certains journalistes ont écrit
que le seul fait que la Comédie française ait choisi une telle pièce était à
saluer et méritait le détour. C’est sans doute vrai. Mais je peux vous dire que
la pièce aurait pu apporter tellement plus, me toucher et m’interpeller bien davantage !
Il me semble que le théâtre est là
pour apporter des émotions. Pour exprimer des idées, certes, mais pour les
exprimer au travers d’une histoire, et pour appuyer des arguments par des
émotions qui nous iront droit au cœur, et nous toucheront mille fois plus qu’une
simple phrase de morale bien écrite.