samedi 13 juillet 2013

→ RITUEL POUR UNE MÉTAMORPHOSE - COMÉDIE FRANÇAISE

Promis, je ferai preuve d’un peu plus de volonté à la rentrée prochaine. Je vous ai déjà privés d’un article sur Oblomov. Ecrire sur un tel roman m’a semblé assez ardu, et comme d’habitude, j’ai manqué de temps. Le plus affreux c’est que déjà les impressions que j’ai ressenties ce soir-là au théâtre du Vieux Colombier se sont estompées.

Avant qu’il n’en soit de même pour Rituel pour une métamorphose, voici ma critique de cette pièce, à laquelle j’ai assisté il y a presque deux semaines.

A la Comédie française, il y a eu cette saison de merveilleuses surprises (en tête la finesse, l’originalité et l’audace du Chapeau de Paille d’Italie), mais aussi de mauvaises (Phèdre bien-sûr !). Malheureusement, Rituel pour une métamorphose aurait plutôt tendance à entrer dans la seconde catégorie.
Rituel pour une métamorphose est la première pièce en langue arabe qui entre au répertoire de la Comédie française. Elle a d’abord été créée il y a quelques mois à Marseille, cette année capitale européenne de la culture, avant d’être jouée salle Richelieu.

Rituel pour une métamorphose a été écrite en 1994 par l’auteur syrien Saadallah Wannous. L’intrigue se déroule autour de 1860, mais je crois que la pièce est surtout un regard de l’auteur sur ses contemporains. J’ignore si l’auteur était visionnaire, ou si la pièce était déjà aussi percutante à l’époque. Toujours est-il que dans la situation politique et religieuse actuelle au Moyen-Orient, il est criant que le message délivré par la pièce est d’actualité.

Au cœur de la pièce, le destin d’une femme, Mou-mina. Mou-mina est l’épouse, discrète, sagement enfermée à la maison comme il convient, d’Abdallah, prévôt des notables de Damas. A la suite d’un piège tendu à Abdallah par le redoutable mufti, garant de l’ordre et de la religion dans la ville, Mou-mina exige que son mari la répudie. Elle veut être libre, seule maîtresse d’elle-même et de son corps.

Progressivement, cette femme de la noblesse devenue courtisane enflamme Damas. La ville n’est plus enfermée dans ses carcans, tout le monde ne parle que de liberté, de désir et de volupté. Dans cette explosion des conventions, l’autorité religieuse du mufti se radicalise : en désespoir de cause, et lui-même fou de désir pour Mou-mina, le mufti finit par prononcer la fatwa.
Rituel pour une métamorphose parle de la religion, du droit des femmes, de l’autoritarisme politique, de l’obscurantisme religieux, de cette obsession religieuse pour le pêché et le vice, et de la liberté. Elle fait partie de ces pièces qui délivrent, mais surtout doivent impérativement aujourd’hui délivrer un message fort.

C’est ce que la mise en scène de Sulayman Al-Bassam ne parvient pas à faire. Le metteur en scène écrit : « La période dont il est question dans la pièce correspond à l’apogée d’une vision fantasmée d’un Orient imaginaire. S’il était important de garder les éléments provenant du conte, il fallait, dans le même temps, opter pour une forme de distanciation, afin de service la pièce dans ce qu’elle a de puissant, d’urgent, de contemporain, et d’universel dans le temps réel ».

Je comprends l’objectif du metteur en scène. Mais c’est aussi précisément ce parti pris que je lui reproche. En voulant gommer tout orientalisme, et en voulant insister sur l’universalité du message de la pièce, il a oublié le plus important (et finalement ce qu’il y a réellement de plus universel !) : l’humanité des personnages.

Plus que des personnages de conte, les personnages deviennent abstraits, figés, presque des archétypes, et tout ce qu’il y a d’humain en eux finit par s’effacer. Le message, le texte, est bien là, mais il ne subsiste plus la moindre humanité, empêchant le spectateur de ressentir la moindre émotion.
La pièce parle de volupté, de désir, je l’ai trouvée horriblement froide. Je n’ai pas cru un seul instant que Julie Sicard, raide, froide, frêle, puisse enflammer Damas. On devrait ressentir ce désir qu’elle inspire à tous, le vent de liberté qu’elle fait souffler, l’explosion brutale mais nécessaire des conventions. Et ressentir la violence de la scène finale où Mou-mina est brisée. Mais à ce stade-là, Mou-mina est déjà une légende, immuable, au-dessus des hommes. Et quelle froideur, quel manque d’expression, d’humanité, de sentiments, d’émotion !

Rien, absolument rien, ne fait deviner l’évolution des personnages, l’impact que Mou-mina est censée avoir sur eux. Le rythme reste lent, la lumière tamisée et terne, les mouvements raides, mécaniques, les comédiens ailleurs. Je n’ai cru à presque aucun personnage. Presque tous les comédiens jouent deux rôles… je les ai tous mélangés. Sylvia Bergé tente maladroitement des pas de danse orientale, avec raideur, sans entrain. Et Denis Podalydès, égal à lui-même (penser qu’il va jouer Hamlet… aie !) ne m’a pas plus séduite.

Je reconnais que le décor était beau. C’est la direction des acteurs que je critique. Ce sont des acteurs que j’apprécie, que j’admire énormément, et j’ai horreur d’avoir l’impression qu’ils jouent mal. Peut-être le problème vient-il également du texte (ou de sa traduction) ? J’ai trouvé le texte maladroit, parfois mal écrit, et il m’a semblé que les comédiens se débattaient pour que les mots ne sonnent pas faux. Enfin c’est vrai : « On n’est pas à La Mecque, mec ! »… voilà.

Ma critique ne serait pas tout à fait sincère si je ne mentionnais pas à part (quelle surprise !) Thierry Hancisse. C’est lui qui s’en tire le mieux, et de loin. Thierry Hancisse interprète le rôle du mufti avec une belle profondeur, et on ressent son évolution. Du mufti calme et autoritaire, à l’homme fou de désir puis d’amour, révolté qu’une courtisane puisse l’atteindre et le soumettre à ce point, il a une interprétation parfaitement juste, presque émouvante. Mais voilà, un seul comédien ne suffit pas, et à lui seul il ne peut sauver la représentation.
 
Certains journalistes ont écrit que le seul fait que la Comédie française ait choisi une telle pièce était à saluer et méritait le détour. C’est sans doute vrai. Mais je peux vous dire que la pièce aurait pu apporter tellement plus, me toucher et m’interpeller bien davantage !

Il me semble que le théâtre est là pour apporter des émotions. Pour exprimer des idées, certes, mais pour les exprimer au travers d’une histoire, et pour appuyer des arguments par des émotions qui nous iront droit au cœur, et nous toucheront mille fois plus qu’une simple phrase de morale bien écrite.