mardi 22 juin 2010

→ CYRANO DE BERGERAC - COMÉDIE FRANÇAISE

« Vous… vous avez un nez… heu… un nez… très grand.
- Très
- Ha !
- C’est tout ? »


J’ai l’impression que ce mois-ci, question théâtre, je suis gâtée ! Avant-hier soir, j’ai pu assister à la représentation de Cyrano de Bergerac, mis en scène par Denis Podalydès, à la Comédie Française. Et comme d’habitude (je suis trop souvent positive sur ce blog, et tout ça va finir par affaiblir mes propos !), je veux vous communiquer mon enthousiasme. Tout ce que j’ai envie de dire, c’est que c’était du très grand théâtre.

Comme je suis gentille, je vais essayer de détailler un petit peu – essayer seulement, parce que je ne pense pas pouvoir trouver les mots pour décrire ce que j’ai ressenti.

Avant-hier, je ne connaissais de Cyrano que peu de choses : « C’est un roc ! … C’est un cap ! … C’est un pic ! Que dis-je c’est un cap ? … C’est une péninsule ! ». Au-delà du nez de Cyrano et de son amour pour sa cousine Roxane, je n’avais qu’une vague idée de la fin de l’intrigue, mais rien de plus. Alors évidemment, et tous ceux qui connaissent la pièce le comprendront, j’ai d’abord aimé le texte de Rostand, beau, émouvant et drôle aussi ; puis l’histoire (car il y a une histoire, et sans vouloir jouer les rétrogrades, j’aime bien moi quand il y a un début, une suite et une fin) ; et les personnages –oh Cyrano, Cyrano … alors que certains sont touchés par le jeune Christian, moi je suis tombée sous son charme !

Je ne m’attarde pas sur la pièce : ce n’est pas comme si Cyrano était la dernière pièce à la mode. Je vais plutôt vous parler du très beau spectacle que j’ai vu hier soir.

Originale sans être déjantée, la mise en scène de Denis Podalydès m'a vraiment transportée. Une ambiance magique, fantastique, beaucoup de délicatesse et d'élégance ... A l'image de la pièce, sans aucun doute.

Quoi qu'il en soit, ce qui m’a le plus frappée dans la mise en scène, c’est son sens du détail. C’est peut être un peu présomptueux d’écrire une chose pareille, sachant que tous les metteurs en scène s’attachent aux détails. Pourtant, je crois qu’hier, les détails, c’était un peu le plus important.

Avant toute chose, et justement à propos de ces détails, le petit bémol de la mise en scène. La toute première scène de la pièce qui se déroule dans les coulisses d’un théâtre (dans lesquelles on assiste au duel génial –épée et vers, de Cyrano), ne m’a pas du tout convaincue. Je n’arrivais ni à comprendre le décor (sommes nous dans un théâtre ? dans les coulisses ou sur la scène ? où est le public ?), ni les mots des acteurs qui parlaient bien trop vite (d’accord, avant une représentation, l’agitation règne dans les coulisses… mais quand même !). Trop de monde, trop vite, trop de décors dans tous les sens. Cette scène a pris tout son sens quand j’ai lu le texte de Rostand et sera sans doute appréciée par ceux qui connaissent déjà l’œuvre. Mais pour ma part, j’ai eu l’impression d’être noyée dans les détails, et j’ai pris peine à entrer dans la pièce. Cette impression négative est revenue de temps en temps (les acteurs trop nombreux parlaient parfois trop fort, ou trop vite … quel gâchis à ces moments là !).

Mais tout ceci est bien loin d’affecter mon impression d’ensemble. C’est dire la qualité du spectacle. Le sens du détail de Podalydès est au bout du compte un pari plus que réussi. Les décors et les costumes (qui ont fait remporter à Christian Lacroix le Molière du créateur de costumes en 2007) sont très travaillés, et vraiment magnifiques.

Alors, ce qui est formidable, c’est qu’au final, on a le sentiment d’un ensemble parfaitement harmonieux. Le génie de Podalydès, c'est de réussir à garder l’esprit de la pièce, tout en suggérant par tous ces détails, sa vision à lui de Cyrano de Bergerac : « Cyrano est un rêve de théâtre total, un mélange des arts et des genres : opéra bouffe, tragédie, drame romantique, poésie symboliste, farce moliéresque ».

J'ai été tellement touchée par cette pièce que la seule chose que je peux faire est d’évoquer les passages qui m’ont le plus marquée. Je garderai toujours le souvenir de la si belle scène où Cyrano, dans l’ombre du balcon, murmure des vers à Roxane, les arbres bruissant derrière lui. Ou encore celui du camp des Cadets de Gascogne, qui semble sorti de la première guerre mondiale, les coquelicots tout légers poussant dans l’herbe. Sans parler de la scène où Cyrano "venu de la Lune" raconte des balivernes au Comte de Guiche, de la scène (très émouvante) de la fin, du Boléro de Ravel et de la valse de Khatchatourian qui résonnent si fort et qui remuent profondément le spectateur … Toutes les scènes sont formidables, presque magiques, et je suis bien incapable de faire le tri.

Je veux juste faire une petite remarque. J’ai été étonnée que Roxane prenne presque part au combat, et je n’ai pu m’empêcher d’aller jeter un œil à la pièce de Rostand. J’y ai lu le « Je reste. On va se battre. » observateur et doux de Roxane. Et la Comédie Française, tout en gardant le même texte, a changé le caractère de la jeune femme. C’est amusant, orignal et ça donne envie de trouver ces petites failles des textes qui font qu’on peut proposer une interprétation unique. Et notre Roxane s’exclame : « Je reste ! On va se battre ! ».

Tout ça pour aboutir au plus important, au plus génial. La Comédie Française fait de Cyrano de Bergerac un spectacle inoubliable parce qu’au-delà des costumes et des décors, déjà tellement parfaits, la pièce repose sur Michel Vuillermoz, Cyrano époustouflant (le petit Christian est assez convaincant lui aussi, mais bon ...). Grâce à notre Cyrano, les scènes comiques sont drôles et les scènes émouvantes nous touchent profondément –et même lorsqu’on pourrait reprocher un manque de sensibilité à Roxane. Tour à tour, il suscite admiration, compassion, douceur, enthousiasme, sympathie, tristesse, incompréhension aussi. Michel Vuillermoz (qui a joué dans Un long dimanche de fiançailles ou dans Atonement de Joe Wright – mais ne me demandez pas dans quels rôles) est un virtuose.

Je crois que pour ceux qui font du théâtre, c’est quelque chose de très particulier de le voir jouer. Comment atteindre une telle perfection ? C’est à désespérer de jamais y arriver. L’acteur rend merveilleusement bien la complexité de son personnage. Je ne pense pas qu’en lisant la pièce avant d’y assister j’aurais pu aussi bien apprécier ou comprendre Cyrano … Le dernier mot de la pièce est « Panache » … Tellement parfait.

Vous l’aurez compris, je ne crois pas avoir assisté à une pièce aussi envoutante, aussi magique que ce Cyrano de Bergerac. Peut être parce que je suis loin d’avoir vu beaucoup de pièces, mais peut être la représentation a t-elle aussi vraiment de quoi être applaudie (je viens d’ailleurs d’apprendre que la pièce avait été récompensée de sept Molières en 2007). Avant-hier, le public a applaudi dix minutes sans interruption, et notre Cyrano, ému, a porté la main à son cœur et baissé la tête pour nous remercier. J’ai été très touchée par ce geste.

« Un baiser, mais à tout prendre, qu’est-ce ? Un serment fait d’un peu plus près, une promesse plus précise, un aveu qui se veut confirmer, un point rose qu’on met sur l’i du verbe aimer ; c’est un secret qui prend la bouche pour oreille, un instant d’infini qui fait un bruit d’abeille. »

Alors n’hésitez pas. Il reste encore quelques places de catégorie C pour le mois de juillet. Avis à tous les amateurs : courez-y !

jeudi 17 juin 2010

→ DU VENT DANS LES BRANCHES DE SASSAFRAS - RENÉ DE OBALDIA

« La forêt, je vois la forêt … des arbres, plus des arbres, plus encore des arbres, une foule d’arbres, des quantités d’arbres …
- Si c’est la forêt…
-Tais toi donc Johnny ! »


Parce que ça fait un petit bout de temps que je n’ai pas écrit de billet, j’ai envie de vous gâter ce soir. J’aimerais vous présenter la génialissime pièce de théâtre Du vent dans les branches de Sassafras, du poète et dramaturge français René de Obaldia.

Je viens de placer cette pièce parmi mes préférées, parce que c’est une pièce originale, brillante, très drôle et merveilleusement bien écrite. Pour tout dire, c’est une petite merveille que j’ai seulement découverte cette année, mais que tout le monde devrait connaître !

Originale c’est incontestable. Car Du vent dans les branches de Sassafras est un western. L’histoire, c’est celle d’une famille de fermiers pauvres du Kentucky : les Rockefeller. On a le père, chef de famille, dur à cuire, brave homme, râleur, ancien séducteur. Puis sa femme, la gentille et sage Caroline, qui n’a que deux passions, son fils Tom, et sa boule de cristal, « magnifique instrument » grâce auquel elle peut voir l’avenir … et le passé (mais chut, c’est une surprise). Puis viennent les deux enfants, Tom, le fils de la maison, frimeur et bon tireur, et sa sœur Paméla, qu’on croit sortie des années soixante (années d’écriture de la pièce) : « Et la jeunesse, elle vous enterra tous et vous aurez honte de n’avoir jamais connu la vôtre ! ». La famille ne serait pas complète sans le vieil ami des Rockefeller, le docteur Butler, alcoolique depuis qu’il a fait mourir malgré lui tous les habitants de la contrée voisine, en voulant les soigner au moyen d’un médicament de sa composition.

Et puis l’histoire commence. A peine la brave Madame Rockefeller a-t-elle découvert dans sa boule le retour du terrible comanche Œil de Lynx, que les événements se bousculent. La famille est bientôt rejointe par la seule survivante de Pancho City (la grosse ville du coin), Miriam, prostituée un peu illuminée, surnommée "Petite coup sûr" ; et par Carlos, shérif qui semble débarqué d’un western américain. Tout s’enchaine. Il faut prendre les armes puisque le ranch est encerclé par les indiens, résister au siège le plus bravement possible, jeter un coup d’œil dans la boule pour essayer de se tenir au courant, soigner les blessés, et faire face au terrible Œil de Lynx qui a jeté son dévolu sur Paméla.

Inutile de raconter la suite. Je vous laisse découvrir vous-même toutes les surprises que la pièce réserve ! Et puis d’ailleurs, je raconte bien mal l’histoire, et ce n’est pas rendre hommage à cette pièce qui est formidable d’inventivité et d’humour. Émouvante –les personnages sont tous attachants, poétique, le rythme enlevé, une langue riche qui ravira les amateurs de littérature, une histoire captivante … Du vent dans les branches de Sassafras est une pièce unique en son genre ! (au passage, si quelqu’un me trouve une pièce d’aussi grande qualité, il aura toute ma reconnaissance)

Je sais qu’il existe d’anciennes versions de la pièce – le rôle de John-Emery Rockefeller a été joué par Michel Simon et Jean Gabin, mais je ne les ai pas encore vues. La seule chose dont je suis certaine, c’est que cette pièce est jubilatoire à jouer ! Penser que les acteurs doivent viser et tirer sur le public avec des fusils, ou se laisser ligoter sur des chaises, ou encore rencontrer des indiens étranges qui parlent une langue un peu folle…

En bref, j’ai eu l’immense chance de jouer cette pièce cette année, et je ne peux pas décrire tout le plaisir que j’ai éprouvé à la lire, à en apprendre le texte, à la préparer puis à la jouer. Du vent dans les branches de Sassafras offre d’énormes pistes d’interprétation aux acteurs, et la virtuosité d’Obaldia donne à son texte à la fois beaucoup de simplicité et une immense élégance. Une chose est sûre, je pars à la recherche d’autres textes d’Obaldia !