Pour une fois mon article sera
court. Si je dois écrire ma critique d’Hamlet
mardi soir, autant que je finisse celui sur La Fleur à la bouche le plus tôt possible. Certainement, je vous conseille d’aller voir cette intéressante
petite pièce au Studio-Théâtre, mais je ne peux pas nier que je suis tout
de même un peu déçue.
Je tenais absolument à voir La Fleur à la bouche. Cet été, je suis
allée en vacances en Sicile avec ma famille, et je suis tombée sous le charme
de ce pays, de ses habitants, et de ses paysages. Mes parents m’ont transmis
leur amour pour l’Italie, je voudrais y passer toutes mes vacances tant j’aime
(et de plus en plus) ce pays ! Mais
en Sicile, je ne saurais le définir, il y avait encore quelque chose de plus.
Quelque chose qui fait que j’ai eu le coup de foudre !
Louis Arène (n’a-t-il pas un
petit air de Ralph Fiennes ?) et Michel Favory se sont retrouvés tous les
deux (un ancien et un nouveau de la troupe) dans leur amour pour la Sicile. Et
ma foi, en dépit de quelques réserves,
j’ai apprécié la représentation.
« Don Fabrizio dit qu’il
rentrerait à la maison à pied ; un peu de fraîcheur lui ferait du bien, il
avait un léger mal de tête. La vérité est qu’il voulait puiser un peu de
réconfort en regardant les étoiles. […] Comme toujours, les voir le
ranima ; elles étaient lointaines, toutes puissantes et en même temps si
dociles à ses calculs ; exactement le contraire des hommes, toujours trop
proches, faibles et pourtant si rebelles. »
La structure est donnée par Pirandello, mais la pièce est ponctuée par
la lecture de plusieurs passages du Guépard,
chef-d’œuvre de Guiseppe Tomasi di Lampedusa. Sans doute les passages sont bien
choisis. Il y a une parfaite logique, une harmonie, un beau dialogue entre les
deux auteurs. La pièce parle de la mort, de l’engourdissement de l’existence,
de la vie qui passe.
Tantôt nous suivons le dialogue de ces deux hommes, seuls clients d’un
café au beau milieu de la nuit. L’un, plus mûr, sait qu’il va mourir bientôt
(il a cette fameuse « fleur à la
bouche ») et parle de ce qu’il fait et de ce qu’on peut faire pour se
distraire de cette certitude, pour oublier la beauté de la vie, pour échapper à
sa quotidienneté. « Dans une
tentative désespérée d’échapper à cette mort, l’Homme à la fleur se projette
par l’imagination en dehors de son corps, il cherche à se dissoudre dans les
objets qui l’entourent car contrairement à lui-même, ils sont constants,
stables, rassurants. »
L’autre a manqué son train, et au
milieu de la frénésie de son existence, est désœuvré le temps de quelques
heures, il parle à peine, écoute, essaye
de comprendre son interlocuteur sans y parvenir vraiment.
Et parfois l’homme à la fleur se plonge dans la lecture de son livre,
le Guépard. Il lit à voix haute les
passages qui le touchent particulièrement. Dans le Guépard, « Le Prince de
Salina assiste à la lente décomposition puis à la disparition de sa société.
Une certaine Sicile meurt qui donnera naissance à une autre ; dans le même
temps le Prince s’éteindra ». L’homme à la fleur lit trois passages.
Don Fabrizio observe attentivement la copie d’un tableau de Greuze, La Mort du Juste. Il danse la valse avec
la jeune Angelica, pleine de vie, fraiche et gaie, puis marche dans la campagne
sicilienne qui s’éveille au petit matin. Enfin c’est la mort du guépard,
dernier prince de Salina, entouré de tous les siens.
La profondeur, le calme et la mesure des deux comédiens sont parfaits.
Michel Favory (qu’on entend beaucoup plus que Louis Arène, bien que ce dernier
soit aussi important) apporte, avec beaucoup de délicatesse, de la dignité
(teintée de fébrilité) à son personnage, ainsi qu’un détachement presque amusé,
et de la sagesse.
« Dans l’ombre qui montait il essaya de compter pendant combien de
temps il avait réellement vécu. […] « J’ai soixante-treize ans, en gros
j’en ai vécu, un total de deux… trois au maximum. » Et les douleurs,
l’ennui, combien y en-avait-il eu ? Inutile de s’efforcer de compter :
tout le reste : soixante-dix ans. […] Soudain, une jeune dame fendit le
petit groupe. […] C’était elle, la créature désirée depuis toujours qui venait
le chercher. […] L’heure du départ du train devait approcher. »
Le cœur de la pièce finalement, ce sont ces mots, ceux de Pirandello,
mais surtout ceux de Lampedusa. Rien n’égale l’impression durable que nous laisse
ce très beau texte. C’est la Sicile
qu’on devine, qu’on ressent dès la première phrase, cette ambiance, ce
détachement serein, cette lumière, cette chaleur et cette langueur. « Chez Lampedusa, la contemplation du
déclin de son monde et de son corps offre au prince de Salina un calme serein
et « la preuve, la condition pour ainsi dire, de la sensation de
vie… ». »
Et c’est là qu’effectivement, je
trouve qu’il y a quelque chose de manqué
dans la mise en scène, qui vient nuire à ce texte qui se suffirait à lui-même.
La scène est plongée dans l’obscurité, et cela se comprend puisque l’action se
passe en pleine nuit. Ce n’est pas ce qui m’a gênée. Ce que j’ai trouvé tout à
fait inapproprié, c’est cette atmosphère glacée qui domine l’ensemble, et qui est
due je ne sais à quoi, peut-être à ce fond sonore bourdonnant (signé
Jean-Baptiste Favory) ?
Je n’aime pas le Studio-Théâtre. Je n’y suis allée qu’une fois,
l’année dernière, pour Existence
d’Edward Bond. Ça ne m’ennuie pas que la salle soit petite, encaissée, perdue
sous le Louvre. Il y a quelque chose d’agréable à aller s’y perdre, en laissant
derrière nous le tumulte de la rue de Rivoli et de la galerie marchande. Mais la salle est très froide, et le système
d’aération si bruyant (enfin, il me semble que c’est le système d’aération !)
qu’il produit invariablement un sifflement lugubre. Autant cela ne m’avait pas
gênée pour Existence (cela s’y
prêtait certainement plutôt bien !), autant j’ai trouvé ça
particulièrement dommage pour La Fleur à
la bouche.
Ajoutez à cela ce fond sonore… et
me voilà tirée des rêveries de Lampedusa. Où
est donc la chaleur sicilienne ? Les textes des deux auteurs sont
plein d’impressions, ils sont vibrants, ils parlent de la mort en gardant une
chaleur et une sérénité frappantes.
Mais dans la mise en scène, il m’a manqué la Sicile, l’ensoleillement et la torpeur, si visiblement présentes dans les mots de Pirandello et Lampedusa. Puisque tant de passages étaient lus, pourquoi ne pas faire encore plus sobre, quitte à laisser les mots et les comédiens venir à nous, tout simplement ?
Mais dans la mise en scène, il m’a manqué la Sicile, l’ensoleillement et la torpeur, si visiblement présentes dans les mots de Pirandello et Lampedusa. Puisque tant de passages étaient lus, pourquoi ne pas faire encore plus sobre, quitte à laisser les mots et les comédiens venir à nous, tout simplement ?