samedi 2 novembre 2013

→ LA TRAGÉDIE D'HAMLET - COMÉDIE FRANÇAISE

Enfin j’ai vu cet Hamlet, dont tout le monde parle ! Eh bien, si vous voulez mon avis, la mise en scène de Dan Jemmett ne mérite ni les cris d’horreur des uns, ni l’enthousiasme démesuré des autres. Voilà un spectacle qui ne m’aura pas particulièrement marquée en bien ou en mal, et que j’oublierai, je pense, assez vite.

Quand j’ai vu qu’Hamlet allait être joué cette saison à la Comédie française, je n’ai pas spécialement sauté de joie. Il faut dire que je n’aime pas du tout Denis Podalydès. Ou plutôt j’apprécie son travail de mise en scène (j’attends avec impatience le tandem Podalydès-Ruf sur Lucrèce Borgia) mais l’acteur ne me touche pas. 

J’ai simplement pris la peine de lire la pièce, calmement pour bien la comprendre (qu’elle est ardue, infiniment difficile à saisir !). Et j’ai acheté le DVD de la mise en scène de Gregory Doran pour la Royal Shakespeare Company, filmée pour la BBC, avec dans le rôle éponyme ce brillant acteur qui dans mon esprit donne ses traits à Hamlet : David Tennant. Je n’ai pas encore vu le film, mais dès que ce sera fait, je vous en toucherai deux mots. Il va sans dire qu’il est aussi dans mes projets de visionner les Hamlet de Kenneth Branagh et Laurence Olivier, sans doute les deux comédiens qui ont le plus marqué ce rôle mythique. 
Ne pas réussir brillamment une pièce comme Hamlet, c’est déjà s’exposer à une foule de critiques. Hamlet, c’est simplement LA pièce. Pas seulement la plus célèbre pièce de Shakespeare, mais peut-être la plus grande pièce d’Europe. Je ne sais pas si personnellement j’ai ressenti cette noblesse, cette puissance, à la lecture de la pièce. Je manque sans doute de maturité. Mais l’aura de la pièce, de ces mots « To be or not to be », et la célébrité du crane de Yorick ou du personnage d’Hamlet sont incontestables. N’est-ce pas le signe que cette pièce est au-delà de toutes les autres ? LA pièce ?

Je n’ai pas détesté la mise en scène de Dan Jemmett. Il me semble qu’on y trouve de bonnes idées. Je suis plutôt familière de ce qu’on appelle l’esprit anglais, et ça ne m’a ni étonné ni déplu de découvrir un univers aussi coloré, décalé, et provocateur, même appliqué à Hamlet. Je n’ai rien contre les perruques, les pattes d’eph, les pissotières, les boules discos, et j’ai même aimé la musique du jukebox ! En un sens, tout ceci n’est pas tout à fait incohérent : Hamlet n’est-il pas en butte à la médiocrité et au si peu de dignité de son oncle, le roi Claudius, et de toute sa cour ?

De temps en temps, une scène éclate, semble annoncer l’envolée de la pièce. J’ai littéralement adoré la scène du théâtre dans le théâtre, où Hamlet fait rejouer devant son oncle et sa mère, afin d’éprouver leur sang-froid et de les tester, le fratricide et l’amour incestueux dont ils sont coupables. Scène parfaitement orchestrée, savoureuse, jouée avec entrain et enthousiasme par Laurent Natrella, Eric Ruf, et Benjamin Lavernhe. L’horreur des actes commis nous saisit d’autant plus que nous en rions.
Mais voilà la limite de ce qui a retenu mon attention dans ce Hamlet-là…

Beaucoup ont été outrés qu’une œuvre aussi pure, aussi profonde que Hamlet soit a priori aussi peu respectée. Ce n’est pas mon cas. Je ne dis pas pour autant que Shakespeare aurait été enchanté. Même dans ses tragédies, le dramaturge a toujours placé de-ci-de-là des passages bouffes… mais de là à ce qu’on place une blague un peu lourde à chaque fois que c’est possible... C’était vraiment "too much". Comment ne pas évoquer la mort de Polonius, dont le corps déclenche une énième fois le jukebox ? Je n’ai pu m’empêcher de me dire : « Oooh non, quand même pas… ». Rosencrantz et Guildenstern sont insupportables. Et puis, on finit par garder tout au long de la pièce une sorte de ton moyen, neutre, ni potache ni élevé, qui achève de lasser le spectateur.

Je ferai à Dan Jemmett un reproche majeur : sa mise en scène n’est pas aboutie. Elle n’est pas dénuée d’intérêt et on y trouve quelques bonnes idées, mais il semble que cela dépasse rarement la simple volonté de se montrer original. On ne ressent pas vraiment l’existence d’un projet artistique particulier, réfléchi, travaillé, précis. La mise en scène m’a donné l’impression d’être assez brouillon, comme si le travail était inachevé.

Le principal intérêt d’une transposition aussi radicale n’est-il pas d’éclairer le texte d’un jour particulier ? Pour le coup, je n’ai vu dans cette mise en scène que de l’esbroufe, le regard espiègle d’un metteur en scène bien satisfait de faire se déplacer le public et la critique, ou simplement heureux d’une bonne blague qu’il aurait lâchée. Pour moi, il y a dans la mise en scène de Dan Jemmett un singulier manque d’ambition, et plus grave, un absolu manque de sincérité.
Mais à bien y réfléchir, je me demande si le problème ne vient pas plus encore de la direction des comédiens. Ceux-ci semblent patauger dans l’univers déjanté de Dan Jemmett. La pièce ne trouve pas son rythme, elle a bien peu d’intensité, et peut-être est-ce à cause d’eux ? Parce qu’ils ne parviennent pas à jouer à l’anglaise, à passer d’un registre à l’autre en gardant un enthousiasme détaché, une générosité immédiate, une excentricité assumée ? Il suffit de regarder un épisode de Doctor Who pour comprendre comment un acteur anglais, parce qu’il ne se prend pas au sérieux, peut passer du rire à la profondeur en un clin d’œil, dans les situations les plus loufoques, sans pourtant se départir d’une certaine élégance…

J’ai trouvé que les comédiens ne donnaient pas de leur personne. Je n’ai pas ressenti ce lien qui se crée au théâtre entre les comédiens et le public. L’émotion, si émotion il y a, reste sur la scène. La troupe ne projette rien vers le public, qui est laissé de côté. Les plaisanteries sont lâchées, mais tombent lamentablement à plat. Je mets cependant à part ces trois comédiens que j’ai déjà mentionnés plus haut, Laurent Natrella, Eric Ruf, et Benjamin Lavernhe, qui rayonnent lorsqu’ils sont sur scène, comme si eux seuls avaient compris Dan Jemmett.

Nous ne sommes pas au point de Phèdre (mis en scène la saison dernière par Michael Marmarinos) où les comédiens semblaient anesthésiés et, pour tout dire, mauvais. Dans Hamlet, c’est différent. Le jeu des comédiens est à l’image de la mise en scène : maladroit, peu subtil, presque caricatural, en cours d’approfondissement. Jamais ils ne semblent posés, la pièce est menée grand train sans application. Les comédiens jouent plusieurs rôles, comme dans Rituel pour une métamorphose… et ça ne me convainc pas plus. On s’y perd.

Denis Podalydès est correct dans le rôle d’Hamlet, et je ne m’attendais pas tellement à plus. Dans l’ensemble, j’ai pu ressentir l’épaisseur de son personnage, ou du moins son humanité. Malheureusement, sa diction est épouvantable. Il débite les plus beaux passages à grande vitesse, ne s’arrête que le temps de lâcher la phrase qui fera rire le public, et reprend à vive allure, comme s’il s’agissait d’épargner au public un texte pénible. Pourquoi un tel parti pris ? Quelle erreur ! On entrevoit à peine les plus beaux morceaux de la pièce, qui devraient nous bouleverser.
Je vais profiter de ce billet pour râler encore un tout petit peu. J’aime infiniment la Comédie française (bien-sûr !), et je trouve que ses comédiens ont une qualité de jeu inégalée (en tout cas inégalée dès qu’on considère une troupe au complet). Ceci étant, je voudrais dire que j’en ai assez de voir certains comédiens interpréter systématiquement les mêmes rôles. Prendre une distribution, et la faire jouer toutes les pièces à l’infini, c’est la solution de facilité et je m’en lasse.

Par exemple, j’en ai assez de voir Gilles David (comédien toujours très juste) cantonné au rôle du brave homme, Jennifer Decker à celui de la fiancée languissante (la pauvre, enchaîner le très mauvais Phèdre, et ce fade Hamlet… alors qu’elle était charmante lors de la soirée Musset), Jérôme Pouly au second rôle pas toujours futé. Et pourquoi Laurent Natrella n’est-il jamais l’acteur principal ? Inversement, je trouve qu’on voit trop Hervé Pierre, qui joue lui-aussi toujours le même type de rôle, un homme un peu vieillissant, un peu espiègle, pas vraiment élégant et pas toujours très net.

Je sais que le choix revient au metteur en scène. C’est aussi un peu le principe d’une troupe : chacun est embauché pour un type de rôle. Et puis ça ne fait que cinq ans que je fréquente assidument la Comédie française, donc j’ignore si les seconds rôles d’aujourd’hui ont été les premiers d’hier. Mais il n’empêche. Et puis, n’est-ce pas le travail du comédien que de jouer des personnages différents ?

Nous arrivons au bout. Je n’ai pas détesté Hamlet, j’ai trouvé la pièce intéressante. Simplement, je n’en garderai pas un souvenir impérissable (alors qu’avec une telle troupe et un tel parti pris, on pouvait faire "so much more" !). Il me semble qu’on a beaucoup trop parlé de cette pièce, en bien ou en mal. Au risque de faire une plaisanterie qui tombe (aussi) à plat, le Hamlet de Dan Jemmett, c’est surtout beaucoup de bruit pour rien… !

2 commentaires:

  1. Votre article est vraiment très juste et très complet. Il est plutôt négatif, en fin de compte. Je suis tout à fait d'accord avec vous, et surtout pour ce qui concerne la direction d'acteurs. Pour moi, à l'exception de Natrella, les acteurs sont en pilotage automatique, et "font le job" sans faire passer d'émotion, d'humanité. j'ai peine à croire que Jennifer Decker puisse être convaincante, cela fait deux fois ("Phèdre" et ici) que je la trouve insignifiante, par manque évident de métier (elle est très maladroite sur scène). Quant au sous-emploi de certains acteurs du Français, comme c'est vrai! J'attends de voir Gilles David en dehors du registre de la bonhomie, et surtout Natrella dans un grand rôle, pour lequel il a tous les atouts. Gestion de la troupe, choix des metteurs en scène, nécessité d'une salle supplémentaire... Il y aura beaucoup de choses à mettre à plat pour le(la) prochain(e) administrateur(trice) du Français.

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    1. Bonjour Anne, je vous remercie d'avoir laissé un commentaire sur cette page. Effectivement, mon article finit par être assez négatif ! Pourtant, j'ai noté quelques bonnes idées, je ne veux pas être totalement critique. Il y avait au moins une certaine recherche, c'est pour cette raison que je placerais Hamlet au-dessus de Phèdre, que rien ne pouvait sauver.

      Je suis heureuse de voir que d'autres personnes partagent mon avis sur la direction d'acteurs, et plus généralement sur les distributions des pièces montées au Français. Sans doute, Muriel Mayette a fait évoluer les choses, et en bien à plusieurs égards. Mais peut-être effectivement est-il temps pour un véritable renouveau ?

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