dimanche 27 octobre 2013

→ LA FLEUR À LA BOUCHE - COMÉDIE FRANÇAISE

Pour une fois mon article sera court. Si je dois écrire ma critique d’Hamlet mardi soir, autant que je finisse celui sur La Fleur à la bouche le plus tôt possible. Certainement, je vous conseille d’aller voir cette intéressante petite pièce au Studio-Théâtre, mais je ne peux pas nier que je suis tout de même un peu déçue.

Je tenais absolument à voir La Fleur à la bouche. Cet été, je suis allée en vacances en Sicile avec ma famille, et je suis tombée sous le charme de ce pays, de ses habitants, et de ses paysages. Mes parents m’ont transmis leur amour pour l’Italie, je voudrais y passer toutes mes vacances tant j’aime (et de plus en plus) ce pays ! Mais en Sicile, je ne saurais le définir, il y avait encore quelque chose de plus. Quelque chose qui fait que j’ai eu le coup de foudre !
Louis Arène (n’a-t-il pas un petit air de Ralph Fiennes ?) et Michel Favory se sont retrouvés tous les deux (un ancien et un nouveau de la troupe) dans leur amour pour la Sicile. Et ma foi, en dépit de quelques réserves, j’ai apprécié la représentation.

 « Don Fabrizio dit qu’il rentrerait à la maison à pied ; un peu de fraîcheur lui ferait du bien, il avait un léger mal de tête. La vérité est qu’il voulait puiser un peu de réconfort en regardant les étoiles. […] Comme toujours, les voir le ranima ; elles étaient lointaines, toutes puissantes et en même temps si dociles à ses calculs ; exactement le contraire des hommes, toujours trop proches, faibles et pourtant si rebelles. »

La structure est donnée par Pirandello, mais la pièce est ponctuée par la lecture de plusieurs passages du Guépard, chef-d’œuvre de Guiseppe Tomasi di Lampedusa. Sans doute les passages sont bien choisis. Il y a une parfaite logique, une harmonie, un beau dialogue entre les deux auteurs. La pièce parle de la mort, de l’engourdissement de l’existence, de la vie qui passe.

Tantôt nous suivons le dialogue de ces deux hommes, seuls clients d’un café au beau milieu de la nuit. L’un, plus mûr, sait qu’il va mourir bientôt (il a cette fameuse « fleur à la bouche ») et parle de ce qu’il fait et de ce qu’on peut faire pour se distraire de cette certitude, pour oublier la beauté de la vie, pour échapper à sa quotidienneté. « Dans une tentative désespérée d’échapper à cette mort, l’Homme à la fleur se projette par l’imagination en dehors de son corps, il cherche à se dissoudre dans les objets qui l’entourent car contrairement à lui-même, ils sont constants, stables, rassurants. »

L’autre a manqué son train, et au milieu de la frénésie de son existence, est désœuvré le temps de quelques heures, il  parle à peine, écoute, essaye de comprendre son interlocuteur sans y parvenir vraiment.
Et parfois l’homme à la fleur se plonge dans la lecture de son livre, le Guépard. Il lit à voix haute les passages qui le touchent particulièrement. Dans le Guépard, « Le Prince de Salina assiste à la lente décomposition puis à la disparition de sa société. Une certaine Sicile meurt qui donnera naissance à une autre ; dans le même temps le Prince s’éteindra ». L’homme à la fleur lit trois passages. Don Fabrizio observe attentivement la copie d’un tableau de Greuze, La Mort du Juste. Il danse la valse avec la jeune Angelica, pleine de vie, fraiche et gaie, puis marche dans la campagne sicilienne qui s’éveille au petit matin. Enfin c’est la mort du guépard, dernier prince de Salina, entouré de tous les siens.

La profondeur, le calme et la mesure des deux comédiens sont parfaits. Michel Favory (qu’on entend beaucoup plus que Louis Arène, bien que ce dernier soit aussi important) apporte, avec beaucoup de délicatesse, de la dignité (teintée de fébrilité) à son personnage, ainsi qu’un détachement presque amusé, et de la sagesse.

« Dans l’ombre qui montait il essaya de compter pendant combien de temps il avait réellement vécu. […] « J’ai soixante-treize ans, en gros j’en ai vécu, un total de deux… trois au maximum. » Et les douleurs, l’ennui, combien y en-avait-il eu ? Inutile de s’efforcer de compter : tout le reste : soixante-dix ans. […] Soudain, une jeune dame fendit le petit groupe. […] C’était elle, la créature désirée depuis toujours qui venait le chercher. […] L’heure du départ du train devait approcher. »

Le cœur de la pièce finalement, ce sont ces mots, ceux de Pirandello, mais surtout ceux de Lampedusa. Rien n’égale l’impression durable que nous laisse ce très beau texte. C’est la Sicile qu’on devine, qu’on ressent dès la première phrase, cette ambiance, ce détachement serein, cette lumière, cette chaleur et cette langueur. « Chez Lampedusa, la contemplation du déclin de son monde et de son corps offre au prince de Salina un calme serein et « la preuve, la condition pour ainsi dire, de la sensation de vie… ». »
Et c’est là qu’effectivement, je trouve qu’il y a quelque chose de manqué dans la mise en scène, qui vient nuire à ce texte qui se suffirait à lui-même. La scène est plongée dans l’obscurité, et cela se comprend puisque l’action se passe en pleine nuit. Ce n’est pas ce qui m’a gênée. Ce que j’ai trouvé tout à fait inapproprié, c’est cette atmosphère glacée qui domine l’ensemble, et qui est due je ne sais à quoi, peut-être à ce fond sonore bourdonnant (signé Jean-Baptiste Favory) ?

Je n’aime pas le Studio-Théâtre. Je n’y suis allée qu’une fois, l’année dernière, pour Existence d’Edward Bond. Ça ne m’ennuie pas que la salle soit petite, encaissée, perdue sous le Louvre. Il y a quelque chose d’agréable à aller s’y perdre, en laissant derrière nous le tumulte de la rue de Rivoli et de la galerie marchande. Mais la salle est très froide, et le système d’aération si bruyant (enfin, il me semble que c’est le système d’aération !) qu’il produit invariablement un sifflement lugubre. Autant cela ne m’avait pas gênée pour Existence (cela s’y prêtait certainement plutôt bien !), autant j’ai trouvé ça particulièrement dommage pour La Fleur à la bouche.

Ajoutez à cela ce fond sonore… et me voilà tirée des rêveries de Lampedusa. Où est donc la chaleur sicilienne ? Les textes des deux auteurs sont plein d’impressions, ils sont vibrants, ils parlent de la mort en gardant une chaleur et une sérénité frappantes.

Mais dans la mise en scène, il m’a manqué la Sicile, l’ensoleillement et la torpeur, si visiblement présentes dans les mots de Pirandello et Lampedusa. Puisque tant de passages étaient lus, pourquoi ne pas faire encore plus sobre, quitte à laisser les mots et les comédiens venir à nous, tout simplement ?

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