«
Enfin, nous sommes arrivés
à ce moment tant désiré ! La crainte de ne pas pouvoir y aller nous a
beaucoup agités, comme chaque année, d’ailleurs, en cette saison. Bon voyage,
donc, à ceux qui partent et bon séjour quand même à ceux qui restent. »
Il n’y a pas à tergiverser. La nouvelle saison de la Comédie française
s’est ouverte avec un chef d’œuvre. Quel bonheur que cette Trilogie de la
villégiature ! La pièce de Goldoni est une vraie merveille, les comédiens
sont sensationnels, la mise en scène est fabuleuse. On touche à la perfection,
tout simplement.
J’avais déjà vu la Trilogie de la villégiature au théâtre éphémère
début 2012 (déjà !), et je pensais qu’il ne me serait jamais donné de la revoir.
Il faut dire que la Trilogie, c’est en fait trois pièces (la Manie de la
villégiature, les Aventures de la villégiature, et le Retour de la
villégiature), une pièce fleuve donc, qui n’est montée qu’exceptionnellement.
J’avais éprouvé alors un tel enthousiasme et j’avais été si touchée, que quand
j’ai vu que la pièce était reprise à la Comédie française, avec la même
distribution, j’ai dû me retenir pour ne pas pousser de grands cris de
joie !
Vendredi dernier donc, je suis retournée salle Richelieu, avec la
certitude de repartir pour une saison entière de bonheur théâtral. Cette année,
je me suis montrée plus raisonnable que l’année dernière, et j’ai pris ma carte
jeune à la Comédie française (il faut dire que j’y suis allée presque 15 fois
l’an passé !).
Pouvait-on rêver meilleur lancement de saison ? La Trilogie de la
villégiature restait, et restera longtemps, comme l’un de mes meilleurs
souvenirs du Français. Vendredi comme il y a presque deux ans, je suis passée
par tant de sentiments que je serais bien incapable de vous décrire ce que j’ai
éprouvé. La dernière fois, je n’avais pas réussi à écrire mon article. Une fois
n’est pas coutume, et c’est paradoxal alors que j’aurais tant de choses à dire,
mon billet sera peut-être court.
Par où commencer ? Je me souviens que la Trilogie m’avait fait
penser à ces mini-séries dont la BBC a le secret, délicieusement romanesques, qu’on
ne peut s’empêcher de regarder d’une seule traite. La pièce dure 4h30 environ,
ça semble long… et pourtant ! Le spectacle ne souffre pas la plus petite
longueur, on attend chaque nouvel épisode avec impatience, le cœur battant, chaque
pièce nous va droit au cœur, et c’est avec beaucoup de regret qu’on voit venir
la fin.
La Trilogie de la villégiature, c’est un peu Tchekhov en Italie. Cette
impression que j’ai n’est sans doute pas étrangère au fait qu’Alain Françon a
aussi mis en scène les Trois sœurs à la Comédie française, avec une
distribution, mais surtout un ton presque identiques.
Mais peut-être y a-t-il autre chose ? On trouve chez Goldoni
comme chez Tchekhov, cette écriture si fine des personnages, une simplicité et
une délicatesse de sentiments, une étonnante profondeur psychologique, une
mélancolie et une nostalgie omniprésentes. Le parti pris du metteur en scène,
ce respect du texte, cette modestie, cette humilité dans la mise en scène qui
s’efface derrière l’auteur, sied aussi bien à Goldoni qu’à Tchekhov. Une place
immense est laissée au texte, simple, drôle, sensible, ainsi qu’aux comédiens
dont le jeu est impressionnant de justesse.
La Trilogie de la villégiature resplendit grâce à la troupe, qui joue une
partition sans faute. Je voudrais citer chacun des comédiens. Laurent Stocker,
Anne Kessler (méconnaissable, une démarche incroyable, en apparence si frivole,
presque stupide, et qui finalement attire la compassion), Michel Vuillermoz
(débonnaire, pique-assiette assez peu délicat, et si drôle !), Danièle Lebrun, Bruno Raffaelli, Hervé
Pierre… C’est tous ensemble qu’ils illuminent la pièce.
Je n’attendais pas des comédiens de l’envergure d’Eric Ruf et d’Elsa
Lepoivre (une des comédiennes du Français que j’admire le plus) dans le rôle
des serviteurs. Pourtant quand on y pense, n’était-ce pas une évidence ? Dans
la pièce de Goldoni, les domestiques sont les plus vrais, les
plus raisonnables. Alors que leurs maîtres ne savent pas vivre, et se
dispersent, ce sont eux qui ont droit au bonheur, dans leur simplicité et leur
bon sens. Eux seuls sont à même d’apprécier un concert de violon, sur la petite
place à la tombée du jour. Alain Françon estimait important de ne pas couper le
texte des domestiques, et il fallait bien Eric Ruf et Elsa Lepoivre pour donner
à Paolo et Brigida assez de dignité et d’élégance.
Enfin, comment ne pas parler de Guillaume Gallienne et de Georgia
Scalliet ? Je ne serais pas tout à fait sincère si j’omettais de dire que
je suis une incorrigible romantique. J’ai été troublée par la passion retenue
qui lie Guglielmo et Gacinta, par leur incapacité presque déchirante à exprimer
leur amour.
« Je connais mon devoir, ne
craignez pas que j’outrepasse les limites, ni que j’abuse de votre bonté. Je
vais simplement vous dire que je vous aime ; mais que si mon amour pouvait
porter le moindre préjudice à vos intérêts ou à votre tranquillité, je suis
prêt à me sacrifier si vous le souhaitez.
- (à part) Qui pourrait répondre
à une proposition si généreuse ?
- J’ai dit quelque chose qui ne
mérite pas de réponse ? »
Guillaume Gallienne m’a beaucoup troublée dans le rôle de Guglielmo. Il joue le rôle du jeune premier, un rôle inattendu qu’il interprète néanmoins avec une précision d’orfèvre. D’une réserve à toute épreuve, véritable gentleman, il est tour à tour fébrile, mélancolique, mais aussi égoïste, impertinent (la fameuse lettre notamment) et froid parfois. Comment ne pas ressentir profondément la passion douloureuse, puis le désarroi de son personnage ? On ne peut pas s’empêcher de frissonner lorsqu’il prononce ce prénom de Giacinta (même Vittoria… presque mon prénom n’est-ce pas !). On ne peut pas non plus ne pas trembler à chaque fois qu’il pénètre sur scène, et qu’il parle de sa voix au timbre si caractéristique.
Guillaume Gallienne m’a beaucoup troublée dans le rôle de Guglielmo. Il joue le rôle du jeune premier, un rôle inattendu qu’il interprète néanmoins avec une précision d’orfèvre. D’une réserve à toute épreuve, véritable gentleman, il est tour à tour fébrile, mélancolique, mais aussi égoïste, impertinent (la fameuse lettre notamment) et froid parfois. Comment ne pas ressentir profondément la passion douloureuse, puis le désarroi de son personnage ? On ne peut pas s’empêcher de frissonner lorsqu’il prononce ce prénom de Giacinta (même Vittoria… presque mon prénom n’est-ce pas !). On ne peut pas non plus ne pas trembler à chaque fois qu’il pénètre sur scène, et qu’il parle de sa voix au timbre si caractéristique.
Quant à Georgia Scalliet… comédienne que j’adore entre
toutes ! Elle porte la Trilogie de la villégiature du début à la fin, avec
une subtilité et une fraîcheur hors du commun. J’aime infiniment, et de plus en
plus, cette comédienne qui semble si vraie, si sincère, si sensible lorsqu’elle
joue. Jamais elle ne dit son texte comme on pourrait s’y attendre. Comme
l’écriture de Goldoni, elle glisse constamment du rire aux larmes, avec une délicatesse
impressionnante. Il semble difficile de pouvoir transmettre autant d’émotion,
avec autant de finesse.
Il faut dire également que Giacinta est un personnage féminin fabuleux,
que je retiens comme l’un des plus beaux que j’ai croisés dans la littérature. Intelligente,
réservée, altière, sûre d’elle, intellectuelle, indépendante, sensible et
parfois fragile, Giacinta est infiniment respectueuse des règles que sa classe
bourgeoise lui a apprises, mais aussi et surtout de la ligne de conduite
qu’elle s’est elle-même donnée. Obsédée par sa réputation, résolue à agir par
vertu et honneur, victime de sa propre erreur, de cet engagement précipité avec
Leonardo, la jeune femme se condamne elle-même à être malheureuse.
A chaque instant, c’est sa raison et sa volonté qui la guident, elle
refuse de s’abandonner à ses sentiments… alors qu’il semble si simple de faire
marche arrière ! Qu’il est poignant, et désolant, de la voir s’écraser
ainsi le cœur tout au long de la Trilogie, et d’emporter dans ce drame
Guglielmo, Leonardo et Vittoria.
« Par exemple, si dans mon
cerveau s’ouvre la petite case qui me fait penser à Guglielmo je dois avoir
recours à la raison, et la raison va guider ma volonté pour ouvrir les petites
cases où se trouvent les pensées du devoir, de l’honnêteté, de la
réputation ; si on ne les trouve pas assez vite, il suffit d’ouvrir celles
qui contiennent des choses plus légères, par exemple les robes, les dentelles,
les jeux de cartes, les loteries, les conversations, les dîners, les
promenades, et autres ».
Pour reprendre les mots d’Alain Françon, la pièce est « une trilogie acide sur cette société vénitienne qui prend ses vacances à la campagne. […] Là, il [Goldoni] s’aperçoit que les espoirs fondés sur leur perfectionnisme moral sont illusoires ». La première pièce est drôle, gaie et impertinente. Les jeunes gens préparent leur voyage dans une grande agitation, les bagages sont faits, défaits puis refaits, les robes à la dernière mode sont achevées… c’est un départ à la campagne tapageur et joyeux !
Pour reprendre les mots d’Alain Françon, la pièce est « une trilogie acide sur cette société vénitienne qui prend ses vacances à la campagne. […] Là, il [Goldoni] s’aperçoit que les espoirs fondés sur leur perfectionnisme moral sont illusoires ». La première pièce est drôle, gaie et impertinente. Les jeunes gens préparent leur voyage dans une grande agitation, les bagages sont faits, défaits puis refaits, les robes à la dernière mode sont achevées… c’est un départ à la campagne tapageur et joyeux !
Pourtant, entre la dépense allègre des derniers deniers et la
frivolité de tous ces bourgeois, on sent déjà le drame se
dessiner. Le texte de Goldoni est teinté d’amertume. Il est même cruel par
instants. Bien que certains personnages gardent leur gaieté effrontée (notamment
les plus âgés d’entre eux) et qu’il y ait tout au long de la pièce un je-ne-sais
quoi de lumineux (qui tient beaucoup, je pense, à Giacinta, si
délicate), la Trilogie de la villégiature glisse vers la mélancolie, la
déception, la tristesse, la résignation…
Pour achever ce billet, ajoutons simplement combien les costumes (les
robes notamment), et les décors sont magnifiques (les images parlent
d’elles-mêmes !). Un vrai régal pour les yeux ! Le décor de la
deuxième pièce est tout simplement merveilleux : une petite place toute
italienne, la campagne toscane à perte de vue, le soleil dont on devine la
course dans le ciel, les lampions lorsque la nuit tombe… La scénographie est
dominée par une lumière douce et triste, à l’image de la pièce elle-même.
Il y a quelque chose de très beau dans la Trilogie de la Villégiature,
des personnages merveilleusement croqués, humains, émouvants, et un style
infiniment agréable, léger, pur, poétique. Je sais que la pièce n’est déjà plus
jouée à la Comédie française. Mais si un jour vous avez l’occasion d’aller voir
la mise en scène d’Alain Françon, allez-y les yeux fermés. Je ne le dirai pas
assez : la Trilogie de la Villégiature est un chef d’œuvre. Tout
simplement magique !
Ton article me donne une irrésistible envie de revoir la pièce ! Il est parfait !
RépondreSupprimerOoh merci MDT ! :) Mais comment ne pas donner envie de voir cette Trilogie ? Ne serait-ce qu'en regardant les décors, les couleurs, les costumes ! (d'ailleurs, les photos que j'ai mises ici sortent de l'Avant scène théâtre de décembre 2011 qui est formidable ! On trouve le texte en intégral, traduit tout spécialement pour Alain Françon, et de magnifiques photos de la représentation).
SupprimerEncore une pièce que je regrette d'avoir raté... C'est bien dommage mais qui sait, avec un peu de chance, elle repassera peut-être un jour? ;)
RépondreSupprimerJu
Ca me fait plaisir que tu viennes me lire ici, Ju, vraiment ! La Trilogie de la Villégiature était un spectacle vraiment magique. Je l'ai vu il y a deux saisons, et vu que la pièce dure 4h30, je me disais bien qu'il n'y avait aucune chance qu'elle soit reprise. Et puis elle a été reprise cette saison, au mois de septembre, pour lancer l'année. Je n'osais même pas y croire, c'est une telle merveille, et pouvoir revoir la pièce était une chance ! Donc voilà, croisons les doigts, et peut être pourras tu y aller aussi. Et puis il y a aussi Laurent Stocker dedans, et il est également parfait.
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