Je me suis promis d’écrire des
articles un peu plus courts, même si je sais que je vais avoir du mal à ne pas
dire tout ce que j’ai envie de dire. Mais après tout, c’est ça ou je n’écris
plus, et c’est bien dommage d’aller aussi souvent au théâtre pour n’en faire
profiter personne (par exemple, depuis septembre, je suis allée plus de dix
fois à la Comédie française…).
Hier soir, j’ai retrouvé la
Comédie française. Après Troïlus et Cressida, très appliqué mais qui m’avait
laissée de marbre, et Phèdre (je maudis le metteur en scène pour avoir pu me
faire croire que tout compte fait, les Comédiens français pouvaient bien être
mauvais), quel plaisir j’ai pris devant Les Trois sœurs !
Sans doute, je ne suis pas très objective. J’ai toujours eu un faible pour la littérature russe. Que ce soit Tchekhov, Tolstoï, Dostoïevski ou Pouchkine, je me sens familière de la Russie du XIXème siècle. Il y a déjà deux ans, j’ai eu la chance de jouer Ce Fou de Platonov, et sans avoir davantage lu Tchekhov, je me suis immédiatement sentie proche de lui, de son écriture, de son histoire, et surtout, de son regard sur le monde.
Sans doute, je ne suis pas très objective. J’ai toujours eu un faible pour la littérature russe. Que ce soit Tchekhov, Tolstoï, Dostoïevski ou Pouchkine, je me sens familière de la Russie du XIXème siècle. Il y a déjà deux ans, j’ai eu la chance de jouer Ce Fou de Platonov, et sans avoir davantage lu Tchekhov, je me suis immédiatement sentie proche de lui, de son écriture, de son histoire, et surtout, de son regard sur le monde.
J’avais manqué Les Trois sœurs il
y a deux ans, et j’en avais été extrêmement déçue. Aussi, j’avais vraiment hâte
d’enfin découvrir cette pièce… Et bien, la représentation d’hier soir était
exactement ce que je m’étais imaginé ! C’était Tchekhov, sans surprise, et
c’était formidable !
La mise en scène d’Alain Françon
est très classique, les décors très beaux, sobres et réalistes (un intérieur
très clair s’ouvrant sur une forêt de bouleaux, puis le même intérieur sombre
où on entend le vent siffler dans la cheminée, et puis le jardin de la maison,
perdue au milieu de la forêt et des étendues froides, presque hostiles). D’emblée
je suis entrée dans la pièce, et sans doute la musique (morceaux de guitare, de
violon) y est elle aussi pour quelque chose.
- […] Le Russe a une tendance naturelle à cultiver des idées élevées, mais pourquoi reste-il à un niveau si médiocre dans la vie ? »
Tout le cadre finalement s’efface,
pour se mettre au service des mots de Tchekhov. Je me suis demandé si au bout
du compte, si j’avais aimé la représentation, ce n’était pas tout simplement
parce que la pièce en elle-même est merveilleuse (un peu comme Cyrano si vous
voulez). Mais pour représenter Tchekhov, la simplicité n’est-elle pas
finalement le meilleur choix ? Si vous des doutes, jetez un œil à la mise
de scène de La Mouette par Arthur Nauzyciel au festival d’Avignon l’année dernière
(je ne dis pas que ce n’est pas intéressant, mais est-ce Tchekhov ?).
La part belle est faite au texte
des Trois sœurs, très beau, et bien-sûr aux comédiens, sans doute admirablement
dirigés par Alain Françon. J’ai éprouvé énormément de plaisir hier, à suivre le
destin de ces trois sœurs et de toute la société qui gravite autour d’elles. Il
faut dire que les comédiens sont si remarquables, si sincères, qu’il est facile
de les oublier, et de ne voir que leur personnage.
Comme d’habitude, j’ai adoré Georgia
Scalliet. Je reconnais qu’elle joue toujours de la même façon. Mais cela n’empêche :
dans tous ses rôles elle apporte un mélange de grâce, de légèreté, de
délicatesse, de sensibilité et de gravité que personne d’autre ne pourrait
apporter. Son rire est merveilleux ! Elle interprète Irina avec une grâce
incroyable ! Il semblerait d’ailleurs que ce soit Alain Françon qui ait
vaincu les réticences de Muriel Mayette et permis à Georgia Scalliet d’entrer à
la Comédie française, précisément pour interpréter ce rôle (qui lui a valu le Molière
du jeune talent en 2011).
« Je n'ai jamais connu
l'amour. Oh ! j'en ai tellement rêvé, depuis si longtemps ! Mais mon cœur est
comme un piano précieux fermé à double tour, dont on aurait perdu la clé ».
Les autres comédiens sont
fabuleux eux-aussi (décidément, quel contraste avec Phèdre !). Elsa
Lepoivre donne toute sa dimension au personnage douloureux et passionné de
Macha, et Florence Viala est touchante, tant elle semble triste, presque
éteinte (elle qui jouait Lucette Gauthier, du Fil à la Patte avec tant d’énergie !).
Je voudrais tous les citer : Michel Vuillermoz, Gilles David qui attire la
compassion, Stéphane Varupenne timide et réservé puis amer, et Coraly Zahonero
(Natacha, quel personnage haïssable…). Un petit mot en particulier pour Eric
Ruf, qui interprète Salioni, avec un charisme incroyable. Je n’ai jamais été
folle de ce comédien, mais je dois dire qu’il a une présence impressionnante…
et terrifiante dans le rôle de ce major violemment épris d’Irina (c’est curieux
d’écrire « violemment épris » mais c’est vraiment ça).
Les personnages discutent beaucoup dans Les Trois sœurs, ils parlent de l’avenir, se questionnent sur le sens de la vie, sur le bonheur... La pièce entière est une constante oscillation entre la mélancolie, le désespoir, le découragement, et l’acharnement à vivre, les plaisanteries bon-enfants et les rires forcés. La pièce est triste, amère, poignante même, et pourtant les personnages vivent. J’imagine que c’est ce qu’on appelle l’âme russe, ce je ne sais quoi que je retrouve toujours dans les œuvres russes.
Les personnages discutent beaucoup dans Les Trois sœurs, ils parlent de l’avenir, se questionnent sur le sens de la vie, sur le bonheur... La pièce entière est une constante oscillation entre la mélancolie, le désespoir, le découragement, et l’acharnement à vivre, les plaisanteries bon-enfants et les rires forcés. La pièce est triste, amère, poignante même, et pourtant les personnages vivent. J’imagine que c’est ce qu’on appelle l’âme russe, ce je ne sais quoi que je retrouve toujours dans les œuvres russes.
Les Trois sœurs fait maintenant
partie de ces pièces qui m’auront apaisée. Je suis passée par tellement d’émotions
hier soir, toujours teintées de douceur cependant, que je me suis sentie plus
calme, plus tranquille. C’est finalement presque la même impression que m’avait
faite La Trilogie de la Villégiature, aussi mise en scène à la Comédie
française par Alain Françon.
Il y a tellement de simplicité, d’intelligence, de sincérité
dans cette mise en scène, que certainement elle restera longtemps comme un de
mes meilleurs souvenirs à la Comédie française.
« Oh, mes sœurs chéries,
notre vie n’est pas encore terminée. Il faut vivre ! La musique est si
gaie, si joyeuse ! Un peu de temps encore, et nous saurons pourquoi cette
vie, pourquoi ces souffrances… Si l’on savait ! Si l’on savait ! »